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du nouveau contingent d’individus qui trouvaient dans la masse accrue du bien-être le moyen de s’élever à la responsabilité pécuniaire de chefs de famille, maintes familles déclassées, que la nécessité de prélever sur des salaires irréguliers leur nourriture et leur loyer condamnait à l’indigence, ou que la domesticité coupait en deux, ont conquis la sécurité et la liberté du chez soi. — Encore un fait qui résumera tous les autres : malgré l’invasion du demi-million de nouveaux-venus qui représentent l’accroissement de la population de 1828 à 1850, et qui tout à la fois apportaient aux. agglomérations domestiques un surcroît moyen d’environ un septième, — à la masse une cause d’appauvrissement (la plupart étant, vu leur âge, des consommateurs non producteurs), telle a été l’impulsion du bien-être général, tel a été l’essor de l’individu vers l’indépendance matérielle, c’est-à-dire vers l’aisance, que la proportion d’habitans par feu se trouvait être, à la fin de cette période, même plus faible qu’au commencement (3,86 habitans par feu en 1850 contre 3,87 en 1828). La différence serait même plus marquée sans les nombreuses émigrations qu’avait provoquées en 1828 la persécution miguéliste.

Voilà qui est donc bien évident : par une anomalie que l’énorme excédant des ressources naturelles du Portugal sur les besoins de sa population[1] laissera longtemps se produire, le nombre des preneurs a beau augmenter, la quote-part de chacun augmente plus rapidement encore. L’aptitude à créer de nouvelles familles se développe en même temps que la moyenne numérique de chaque famille. La progression de la population, en un mot, a pour pendant la diminution du prolétariat. Un économiste portugais, M. C. À da Costa[2], signalait, il y a dix ans déjà, cette rapide accession du prolétariat vers la propriété, « C’est plaisir de voir, dit-il, comment depuis la mise en vigueur de cette loi (celle qui supprimait les droits royaux) nos terres vagues se défrichent. Je connais des propriétaires qui, depuis lors, ont fait des centaines de baux emphytéotiques de simples alqueires (quelques ares) avec des prolétaires journaliers, lesquels n’osaient pas naguère jeter la bêche sur la lande vierge qu’ils foulaient, par terreur des pensions qu’ils auraient à servir en sus de leur peine »

La théorie peut condamner cette fièvre de propriété qui, en morcelant le sol, multiplie les frais généraux de culture ; mais le morcellement en Portugal a deux excuses. La première, c’est qu’il s’accomplit surtout aux dépens des terres incultes et augmente dès lors le domaine agricole bien plus qu’il ne le divise : c’est là pour le moment

  1. Avec son climat et sa situation privilégiés, le Portugal n’avait encore, en 1850, que 108 habitans par mille carré.
  2. Projecto de Banco provincial de Portugal, Lisbonne 1846.