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n’est pas jusqu’à la théorie communiste même qui ne trouve dans la surabondance des terres disponibles et dans l’empressement des détenteurs à s’en dessaisir par petits lots une large et pacifique réalisation.

Au train dont marche cette transformation du journalier en propriétaire, en locataire emphytéotique ou en métayer, les cultivateurs manqueront au sol bien plus tôt que le sol aux cultivateurs. Le Portugal, remarquons-le aussi, n’a que peu ou point de grandes manufactures, à quoi le radicalisme, dans son ancienne et dans sa nouvelle acception, perd deux puissans auxiliaires : les crises industrielles, qui lui font bien vite un parti, et les agglomérations ouvrières, qui lui donnent au moment précis une armée.


III

Le libéralisme proprement dit, — cette impatience d’action qui, en Portugal comme ailleurs, s’était emparée des classes moyennes, — pouvait encore moins que les humbles aspirations des masses dégénérer en radicalisme. Grâce à dom Miguel et à l’heureux hasard qui réunissait sous son drapeau l’esprit de rébellion et l’esprit d’immobilité, l’effroyable malentendu d’où était sorti 93 n’a pas été possible ici un seul instant. L’irritation causée par la résistance désespérée de l’absolutisme se tournait en fidélité dynastique du moment où la légitimité représentait bien évidemment la liberté.

La tradition monarchique n’étant pas interrompue par la révolution, les dévouemens, les capacités, les influences que celle-ci mettait en évidence, furent tout naturellement payés en monnaie monarchique, c’est-à-dire en titres et en décorations. La couronne put s’en montrer d’autant plus aisément prodigue, que, par l’abolition des droits féodaux et des bénéfices laïques, il n’en coûtait désormais à l’état que du parchemin et du ruban. Et voilà qui n’a pas dû peu contribuer non plus à retenir à temps le libéralisme portugais sur la pente de 93. Sous la peau de tigre de maint de nos fauteurs de jacobinisme, qui n’a pas vu poindre en effet la rouge oreille de ce bon M. Jourdain, — mais du Jourdain déniaisé et éclairé par un siècle de railleries et cédant à la tentation de faire trembler ceux qu’il faisait rire depuis Molière ? En Portugal, les rancunes analogues avaient à peine eu le temps de se produire, qu’une pluie de brevets était venue les transformer en solidarité. Et encore, dans les programmes