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égalitaires par où débuta le libéralisme portugais, y avait-il plus d’esprit d’imitation que de rancune véritable. La grande noblesse féodale, celle qui, durant le moyen âge, eut si souvent maille à partir avec les communes, avait presque entièrement disparu avec dom Sébastien dans la journée d’Alcacer-Quibir. Tout récemment, le marquis de Pombal en avait à peu près fini avec le reste, et le petit nombre qu’épargna la hache du Richelieu portugais pouvait bien moins inspirer la jalousie que ce vague intérêt qui s’attache aux vaincus. Les vieilles familles avaient d’ailleurs, on l’a vu, transmis leurs droits territoriaux à des tiers, sur qui retombait ainsi la responsabilité des exactions seigneuriales. Quant à la petite noblesse, qui sema en France tant de germes d’irritation dans les classes moyennes, elle s’y confondait en Portugal, ou pour mieux dire les absorbait.

La guerre des Maures avait en effet tellement multiplié les exploits individuels et par suite les distinctions et privilèges féodaux sur ce sol reconquis pouce à pouce, — la merveilleuse aventure qui livra aux enfans perdus de ce petit pays l’Afrique, l’Asie et un tiers de l’Amérique avait plus tard ajouté à cet immense personnel nobiliaire un contingent si nombreux, que le temps, les mariages et les substitutions aidant, la classe des fidalgos ou des gens qui se réclamaient d’une parenté quelconque avec eux avait fini par s’étendre jusqu’aux dernières limites de la bourgeoisie. Sur ces entrefaites et par l’influence des couvens, qui y trouvaient matière à fondations pieuses, l’abus des majorats, originairement limité aux biens et revenus de la noblesse, avait envahi la propriété entière, et les confusions qui au bout de quelques générations en résultaient étaient devenues la source d’autres revendications nobiliaires beaucoup moins fondées, mais d’autant plus bruyantes. Enfin, pour échapper à la redoutable défaveur que l’inquisition faisait peser sur les chrétiens nouveaux, les descendans des Juifs et des Maures convertis, catégorie fort nombreuse en Portugal, avaient dû longtemps s’ingénier à simuler un lien de famille avec les fidalgos dont ceux-ci avaient reçu le nom au baptême, et, dans des temps plus calmes, la vanité avait fait son profit des subterfuges de la peur. Ouvrez au hasard l’Almanach de Portugal, et vous croirez tomber juste sur la liste de la grandesse. Les noms les plus historiques s’y répètent de façon à rivaliser avec la banalité proverbiale de nos Dupont et de nos Durand, et l’adresse la plus modeste y étale souvent trois et quatre noms à la file, sautant d’une branche à l’autre de l’arbre généalogique jusqu’à ce qu’elle atteigne quelque greffe seigneuriale où se percher. On comprend qu’il n’y a guère place dans cette bourgeoisie pour les haines de caste. Sommé à son arrivée au pouvoir de traduire en faits les lieux communs égalitaires qu’il lançait des bancs