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Pourquoi ces trois derniers recueils ont-ils obtenu moins de succès que les Feuilles d’Automne ? La réponse est facile. C’est qu’au lieu de se renfermer dans le domaine de la famille, qu’il connaît à merveille, l’auteur aborde imprudemment tous les problèmes et les résout avec des images, au lieu de les étudier avec les lumières de la raison. Ses disciples ont dit : L’inspiration dispense de l’étude. Le public n’a pas été de cet avis. S’il y a dans les Chants du crépuscule, dans les Voix intérieures, dans les Rayons et les Ombres des pièces d’un mérite réel, que personne ne saurait contester ; il y a bien des pages dont l’intelligence la plus attentive ne réussit pas à pénétrer le sens. Le poète se hasarde sur un terrain qui ne lui est pas familier, et plus d’une fois la fortune punit son audace au lieu de la récompenser : il agite sans trembler les questions les plus obscures, et croit transformer les ténèbres en splendeur à l’aide de comparaisons étranges, innombrables. Plus d’une strophe semble un défi jeté à la sagacité du lecteur. Pour justifier ce que j’avance, il me suffira de rappeler une composition que je n’ai jamais réussi à déchiffrer, et je l’avoue d’autant plus volontiers que je compte plusieurs compagnons d’infortune : je parle du Puits de l’Inde. Qu’il y ait dans les temples hypogées de cette contrée mystérieuse des secrets que l’érudition n’a pas encore dévoilés, je ne refuse pas de le croire ; mais dans les monumens de ce genre gravés en Angleterre, je n’ai rien vu qui se puisse comparer à la pièce que je viens de citer. Ce qui nous étonne, ce qui nous déroute dans les Rayons et les Ombres, et déjà même dans les deux recueils précédons, se trouvait en germe dans les Feuilles d’Automne ? Je n’oserais pas le nier, car dans ce livre d’ailleurs si digne de sympathie, si justement admiré, l’auteur laisse parfois échapper des pensées qui ne présentent pas un sens bien net ; mais comme il s’applique presque toujours à célébrer les joies de la famille, le lecteur oublie volontiers les pages brumeuses pour les pages radieuses et sereines. Ce qui était l’exception dans les Feuilles d’Automne a pris une importance croissante à mesure que l’auteur avançait dans la vie. Plus fréquentes dans les Voix intérieures, dans les Chants du crépuscule les pensées obscures sont devenues une habitude dans les Rayons et les Ombres. À proprement parler, ces trois derniers recueils servent à marquer la dégénérescence de la seconde manière. De 1818 à 1829, M. Victor Hugo néglige l’idée pour le mot. En 1832, il ne sépare plus le mot de l’idée. Dans les huit années qui suivent, il aborde sans hésiter les plus redoutables problèmes, et s’attribue le privilège de chasser les ténèbres par la seule force de sa parole. Déçu maintes fois dans son espérance, il n’abandonne pas la tâche qu’il s’est donnée. Nous le connaissons, maintenant nous pouvons parler des Contemplations.

Il y a dans les Contemplations trois parties très distinctes qui veulent