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Elle s’asseyait sur son lit, et, après l’avoir comblé de caresses, elle jouait avec ses papiers. Un de ses plus chers caprices était de toucher aux plumes, de tacher d’encre ses doigts roses, de griffonner des lettres impossibles, de barbouiller des figures étranges, et le père bienheureux la laissait faire, et suivait d’un œil radieux tous les griffonnages de sa chère enfant. Aujourd’hui que Dieu l’a rappelée, il se souvient avec amertume de tous ces détails familiers ; il console sa douleur en les retraçant avec une fidélité minutieuse. Dans ce récit attendrissant, il n’y a pas une ligne à retrancher. Tous les mots portent coup, toutes les images sont amenées naturellement et choisies avec un goût délicat. Je noterai un trait d’une pureté ravissante : le père en quête de la gloire, déjà enivré par les applaudissemens de la foule, se rappelle qu’il a écrit ses plus beaux vers sur les pages griffonnées par sa fille. Je ne sais rien dans les Feuilles d’Automne de plus heureux, de plus vrai, de mieux dit. Tout ce petit tableau est composé avec une exquise habileté. Le babil de l’enfant, son irrévérence pour les poèmes ébauchés, son rire sonore, ses jeux téméraires au milieu des papiers qu’elle ne sait pas encore épeler, les questions qu’elle multiplie, et dont elle essaie de deviner la solution en se penchant sur les yeux de son père, tout est indiqué avec une mesure qui ne laisse rien à désirer ; rien de trop, pas une parole oiseuse. Il y a plaisir à parler de telles œuvres ; on peut les vanter en toute sécurité, on est sûr de ne jamais regretter son approbation. Simplicité, naïveté, deux sources d’émotion où la poésie contemporaine puise trop rarement. Aussi ne faut-il pas se faire prier pour louer sans réserve les esprits bien avisés qui vont tremper leurs lèvres à ces sources fécondes.

Une autre pièce, qui se rapporte encore à l’enfance de la fille aînée, ne mérite pas de moindres éloges. Ce n’est plus une enfant, ce n’est pas une jeune fille, elle a dix ans. Elle accompagne son père dans ses promenades à la campagne, elle cueille des fleurs, elle bondit dans les prés comme un chevreau, et quand elle a composé son bouquet de bleuets et de coquelicots, elle revient toute fière, et sans savoir le nom des fleurs qu’elle rapporte. Elle écoute le chant des oiseaux et court après les papillons. Elle ne s’arrête pas un instant, et d’une voix argentine elle interroge le père bienheureux, qui ne sait comment contenter sa curiosité, tant elle demande de choses à la fois. Pour peindre ce bonheur sans mélange, cette joie enivrante, M. Victor Hugo a trouvé des vers qui sont sortis du cœur, et que le cœur seul peut juger. De telles délices, racontées dans une langue harmonieuse, sont des trésors sans prix pour les lecteurs qui préfèrent une larme vraie, un souvenir sincère, aux plus savantes combinaisons, et je gâterais cet admirable récit en essayant de