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que de s’adresser au ciel pour lui demander de la poussière d’étoiles ! De telles métaphores n’agrandissent pas la tristesse, et surprennent sans émouvoir. Que la pensée du ciel se mêle à nos douleurs, que l’espérance de la résurrection, l’idée d’une réunion future, nous consolent et nous raffermissent dans l’épreuve, c’est une donnée que la poésie peut développer ; mais l’image que je viens de rappeler n’a rien de chrétien, et n’éveille dans l’âme aucun écho. La pièce dressée à Charles Jacquerie, qui est mort en voulant sauver la fille du poète, serait plus touchante à coup sûr, si M. Victor Hugo eût exprimé sa pensée avec plus de simplicité. Le début de la première strophe, répété dans les strophes suivantes, donne à cette élégie quelque chose de pompeux, qui ne s’accorde pas avec le souvenir de la morte. — Il ne sera pas dit que je n’aurai pas honoré l’on courageux dévouement, — voilà le thème que le poète a choisi. Ne valait-il pas mieux supprimer cet exorde et raconter les efforts désespérés du hardi nageur luttant contre les flots pour sauver sa compagne bien-aimée ? Je n’insiste pas, car je craindrais de blesser le goût en essayant de le défendre. Les principes les plus vrais, les plus évidens, ne peuvent être invoqués en pareille occasion. Les questions d’habileté disparaissent devant l’immensité de la douleur. J’aime mieux louer la pièce qui raconte le bonheur du poète à Villequier, entre sa fille et son fils d’adoption. Là tout est spontané, rapide, persuasif ; l’amour conjugal s’embellit de la splendeur de la nature, et la nature elle-même emprunte à cet amour une splendeur nouvelle. Les forêts prêtent leur ombrage aux entretiens mystérieux ; les oiseaux témoins des mutuels épanchemens, des chastes baisers, s’associent par leur gazouillement à la joie des jeunes époux. Jamais le poète n’a mieux dit ce qu’il voulait dire, jamais il n’a mieux compris où commence, où finit le domaine de l’imagination. Pas une couleur crue, pas un ton criard. Toutes les strophes sont appelées l’une par l’autre, et s’enchaînent dans un chœur harmonieux. J’ai lu et relu cette pièce, et je me demandais à chaque page comment l’auteur de ce tableau si émouvant et si pur avait pu recueillir ce que dit la bouche d’ombre. On dirait que ces deux pièces si diverses n’appartiennent pas à la même intelligence ; mais le souvenir d’une conception énigmatique ne doit pas arrêter sur nos lèvres la louange appelée par une conception radieuse.

Les Contemplations marquent-elles un progrès dans la carrière lyrique de M. Victor Hugo ? C’est là une question que nous ne pouvons éviter, à laquelle nous répondrons sans embarras. Toutes les pages consacrées aux affections de famille peuvent se comparer aux meilleures pages signées de son nom depuis trente-quatre ans. Il n’y a rien dans les Feuilles d’automne qui s’élève au-dessus du Revenant et de Villequier. À l’âge de cinquante-quatre ans, l’auteur a gardé