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espérait que les hostilités, s’étendant au Nord, viendraient réaliser ses désirs les plus chers, c’est-à-dire l’affranchir enfin de l’influence excessive de la Russie, en lui rendant cette Finlande, dont la perte est pour elle une blessure qui ne se fermera pas. La paix a paru tromper ces espérances. En ce moment, le roi Oscar institue des commissions que doit présider le prince royal, et qui s’occuperont de fortifier Stockholm et la côte orientale ; une partie du crédit accordé par la dernière diète en vue des nécessités éventuelles de la guerre vient d’être mise, par ordre du roi, à la disposition du gouvernement. Le rétablissement de la paix générale serait-il donc aux yeux de la Suède une source d’inquiétudes nouvelles après sa conduite hardie ? Nous ne le pensons pas. L’occasion a pu paraître favorable au gouvernement suédois de continuer sur ses côtes orientales les fortifications que Bernadotte lui-même, bien instruit du danger, avait conseillées et commencées ; mais le traité du 21 novembre et la paix de Paris ont modifié profondément la situation de la Suède en face de ses redoutables voisins, et l’ont en définitive affranchie. L’histoire des rapports de la Suède avec la Russie depuis 1812 montrera l’importance des résultats aujourd’hui obtenus. Une période nouvelle commence pour ce royaume. Depuis quarante ans, il était mal à l’aise, et pliait presque sous le poids de l’alliance conclue en 1812. La Suède s’est relevée désormais, et la liberté nouvelle de son allure profitera au développement intérieur de ses institutions et de toute sa prospérité autant qu’à la dignité rétablie de ses rapports avec le reste de l’Europe.


I

On ne peut pas beaucoup s’étonner que Bernadotte, après la lutte contre Napoléon, soit resté attaché à l’alliance de la Russie. Ce n’était pas qu’il y tînt par le cœur : il y était enchaîné par la crainte. Bernadotte a gouverné la Suède pendant la période qui, dans toute l’histoire des temps modernes, offre le plus d’agitations et le plus de révolutions contraires ; ce n’étaient pas seulement les trônes qu’il voyait tomber, se relever, puis se briser encore autour de lui, mais les systèmes ou les principes politiques, qui paraissaient ne plus reposer que sur un sol mouvant. Et lui, au milieu de ces tempêtes, il avait à fonder une dynastie, il avait à la maintenir quand tous les vents étaient encore déchaînés. Les plus dangereux orages lui semblant devoir souffler du côté de l’orient s’il ne prenait avec résolution le vent de ce côté, il crut sage de courir vers le péril pour le conjurer, et il se fit l’allié ou le sujet de la puissance qu’il devait redouter la première.