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particulier se souvint qu’ayant à venger bien des injures, elle pouvait devenir une des armes dont se servirait l’Occident : ses propres désirs s’accordaient avec les intérêts de l’Europe. Comment toutefois passer subitement des relations réservées sans doute, mais extérieurement amicales, qui tenaient encore rapprochés les deux cabinets de Stockholm et de Pétersbourg, à un état d’hostilité déclarée ? La Russie n’avait pas donné, à ce qu’il semblait, d’occasion de mécontentement qui autorisât une subite rupture, à moins qu’on ne voulût briser court à toute hésitation en rejetant loin de soi d’un coup toutes les traditions d’un demi-siècle. Dans ces circonstances, la proclamation de la neutralité suédoise, au milieu de l’hiver qui précéda la première campagne, le 15 décembre 1853, fut déjà un acte de courage, tant il fallut rompre d’attaches ; elle fut le premier épisode de la période nouvelle qui venait de s’ouvrir pour l’histoire des rapports entre la Suède et la Russie. L’auteur d’un livre suédois récemment publié sur les Craintes et les Espérances de la Scandinavie a bien fait ressortir l’importance de cette première démarche. « Une généreuse agitation, dit-il, s’était emparée en Suède de tous les esprits, les états, assemblés depuis un mois, s’associaient à l’émotion générale ; mais, faisant preuve d’une réserve que commandait la gravité des circonstances, ils attendaient silencieusement ce que déciderait la royauté, à qui l’initiative appartenait. La situation était difficile, non pas seulement à cause des précédentes liaisons, mais parce que l’issue de la lutte après tout était douteuse, et que la Suède avait tout à perdre à une résolution prématurée. D’ailleurs les puissances occidentales déclaraient dès leurs premiers manifestes qu’elles voulaient seulement sauver l’empire ottoman sans porter aucune atteinte à la puissance territoriale de la Russie ; la question de la Finlande semblait donc jugée d’avance. C’eût été beaucoup assurément, en présence de telles difficultés, que de résister seulement aux séductions ou aux menaces de Saint-Pétersbourg. Le roi Oscar alla plus loin : il fit, d’accord avec le Danemark, au nom de la Suède et de la Norvège, une déclaration de neutralité dans l’éventualité possible d’une guerre maritime. Deux notes, rédigées dans les mêmes termes, furent remises simultanément au cabinet de Saint-Pétersbourg par les deux ministres de Danemark et de Suède ; mais il y avait cette différence, que le tsar avait été averti d’avance par la cour de Danemark, tandis que le roi Oscar avait gardé le silence. Ce fut donc avec une surprise mêlée d’indignation que Nicolas accueillit le manifeste suédois. L’accord parfait des trois peuples Scandinaves le mécontentait sur tout. Il venait d’ailleurs de recevoir la nouvelle de l’entrée des flottes dans la Mer-Noire. Donnant un libre cours à son ressentiment, il se laissa aller à un de ces accès de colère sauvage qui lui faisaient oublier