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ce pacte de famille, comme la convention additionnelle dont il faisait partie et comme le traité du 24 mars 1812, n’était valable que pour huit ans, aux termes de l’article 17 de ce dernier traité.

L’opposition suédoise toutefois ne se contenta pas de cette réponse. Elle crut et croit peut-être encore que le pacte fut renouvelé. Elle ne peut cependant donner aucune sorte de preuve, aucun indice, même pour le premier renouvellement. Elle croit au second sur la foi d’une dépêche du ministre russe Suchtelen à M. de Nesselrode, en date du 25 avril 1826, fort intéressante par elle-même, quelles que soient les conclusions qu’on en veuille tirer. — Le 22 avril 1826, Suchtelen dans une audience particulière avait, par ordre de sa cour, communiqué à Charles-Jean plusieurs dépêches concernant la politique anglaise qui intéressaient le cabinet de Stockholm. Charles-Jean, après avoir remercié avec effusion le ministre russe de la confiance qu’on lui témoignait, s’était abandonné à ce courant plein d’écueils que Suchtelen, qui savait bien en faire jaillir la source, appelait malicieusement « son inspiration. » C’était la que Suchtelen l’attendait. « Je souhaite, dit Charles-Jean après des complimens interminables, que l’empereur réussisse dans ses négociations avec la Turquie ; mais enfin, en cas d’échec, sa cause est une juste, une grande, une sainte cause, et mon cœur sera tout entier pour le succès de ses armes. Écrivez cela à Nesselrode… » Ici Suchtelen salua, et, croyant sans doute saisir Charles-Jean à un degré suffisant d’effervescence, il interrompit en disant : « Ce sera sans aucun doute pour moi un grand plaisir de transmettre à mon gouvernement des dispositions si amicales. Cependant j’oserai appeler l’attention de votre majesté sur ce point, qu’elles seraient tout autrement les bienvenues, si elle voulait elle-même et de sa main les exprimer dans une lettre à l’empereur mon maître… — Je le ferais bien volontiers, reprit Charles-Jean, si je n’avais déjà écrit tout récemment à l’occasion de l’avènement : il faut attendre quelque occasion ;… mais comme je vous l’ai dit, je vous autorise à répéter mot pour mot mes paroles de tout à l’heure, c’est l’expression de mes plus intimes sentimens. » La conversation continua sur les affaires de la Turquie ; Suchtelen pourtant ne perdait pas courage, et il savait quelles cordes il pouvait encore toucher. «…Je le répète depuis cinq ans, concluait Charles-Jean après une nouvelle tirade, je vous l’ai dix fois répété, vous ne rendrez le sultan favorable qu’à l’aide du canon. — Je le sais bien, répondit Suchtelen. Le coup d’œil clairvoyant de votre majesté avait deviné parfaitement juste ; mais si la guerre devient décidément une nécessité, votre majesté croit-elle que nous ayons pour nous quelques chances favorables ? Il serait inappréciable pour mon gouvernement de recevoir à ce propos l’avis et les conseils du premier tacticien du monde ! » Cette fois Suchtelen crut avoir réussi.