Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du testament de M. Flinte désira que mon mari fût présent à l’ouverture de ce document. Il était de date déjà ancienne, et ses dispositions nous parurent fort extraordinaires. À l’exception d’une somme fixe, dont mistress Flinte aurait l’usufruit sa vie durant, mon frère Hugh héritait de tout. Blanche n’était pas nommée une seule fois dans les quelques lignes consacrées par son père à l’expression de ces dernières volontés. Tout ceci me choqua et me fit peur, non pas que j’eusse à douter de Hugh, à le croire capable d’usurper les droits de Blanche et de ses enfans : ses notions d’honneur m’étaient trop bien connues ; mais il me tardait de le voir, de savoir comment il comprendrait sa nouvelle situation.

Il rentra le soir même, plus harassé, plus éteint que jamais je ne l’avais vu auparavant. Se laissant aller sur un canapé, il demanda du vin, et but coup sur coup plusieurs verres pour se ranimer. Ni Harley ni moi ne songeâmes à le féliciter, et nous attendions avec impatience sa première parole. Enfin Harley lui demanda si les clauses du testament ne l’avaient pas quelque peu surpris.

— Sans doute, répondit-il sans la moindre hésitation… C’est une œuvre insensée… Mon oncle n’avait pas la tête à lui quand il traça ces lignes. C’est bien ce que j’ai dit à Holmes. (M. Holmes était le dépositaire du testament.)

— Et que vous a-t-il dit, lui ? repris-je.

— Qu’il n’y avait pas en Angleterre un homme plus raisonnable que M. Flinte, et que le fou, dans toute cette affaire, ce serait moi, si j’obéissais à de vains scrupules.

— Vous avez discuté, j’espère ?

— Discuté tant qu’il a voulu, mais mon parti était bien pris de tout remettre, et sans conditions, aux héritiers du sang.

— Bravo ! s’écria Harley.

— Bravo, tant que vous voudrez, reprit Hugh, mais Herbert, lui, n’est pas de votre avis. Il tient absolument à ce que sa femme partage avec moi par moitié… Il prétend qu’à tout événement, et alors même qu’elle serait rentrée en grâce auprès de son père, celui-ci m’eût fait une large part dans ses libéralités posthumes… Et il est entêté, cet Herbert… Il fallait voir ricaner M. Holmes… Je pense qu’il nous eût volontiers logés tous deux à Bedlam.

— En somme, à quoi évaluez-vous la succession ?

— A un peu moins de cinquante mille livres[1].

— Ah ! soupira mon mari, c’est une jolie fortune à recueillir ainsi, toute venue ; mais j’imaginais que M. Flinte avait amassé plus que cela.

— Enfin, reprit Hugh, tout est réglé. Holmes dresse un acte pour

  1. 1,250,000 francs.