Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des cris de joie et des baisers qui me ravirent ; mais il ne parlait plus que guerre et combats, il ne jouait plus qu’armé de pied en cap. Dieu sait si j’en remerciai Alan, qui lui montait l’imagination par ses récits belliqueux, bien autrement attrayans que mes sermons pacifiques ! Mon oncle le soldat ne fit que rire des appréhensions auxquelles il me voyait en proie.

Harley, resté sans emploi régulier depuis que M. Rivers s’était retiré des affaires, venait de trouver une place. Hugh n’aurait pas mieux demandé que de le prendre avec lui et de le mettre à la tête de ses commis ; mais mon mari n’aurait pas accepté cette position en sous-ordre auprès d’un aussi proche parent. À ses nouvelles fonctions était attaché un salaire encore moindre que celui dont il avait joui chez M. Rivers ; mais j’avais pris mon parti de notre médiocrité toujours plus humble, et pourvu que les goûts si simples de mon mari ne fussent pas contrariés, pourvu qu’il nous fût permis d’élever nos enfans jusqu’à l’âge où ils pourraient se suffire, j’étais bien résolue à ne m’inquiéter d’aucune privation, d’aucun travail.

Cependant le temps passait, et Hugh ne se mariait pas. Laura était allée voir, assez loin de Londres, des parens de son père, et son retour était ajourné de semaine en semaine. Mistress Herbert vint un jour me voir et me donna l’éveil, en plaisantant, sur ce qui pouvait se tramer contre mon frère. « Elle ne serait nullement étonnée, disait-elle, que le mariage se rompît… Laura n’était qu’une enfant légère et coquette. M. Rivers s’était trop pressé de conclure pour elle. On parlait des assiduités d’un certain capitaine Martin, fort bien accueilli par miss Rivers, et patroné auprès d’elle par la famille au sein de laquelle on la voyait si heureuse de prolonger son séjour. »

Je ne laissai rien voir à Blanche des terreurs qu’elle m’inspirait, et me gardai bien de traiter avec Hugh ce sujet délicat. Il était assez préoccupé depuis quelque temps, et j’avais tout lieu de croire que le sujet de cette préoccupation était précisément la conduite de sa fiancée. On apprit enfin qu’elle était de retour, et le jour même Hugh vint me trouver dans la soirée.

— Avez-vous vu Laura ? lui demandai-je.

— Oui, cinq minutes, me répondit-il. Elle allait sortir.

— Pour aller où ?

— Elle ne me l’a pas dit. Je n’ai pas eu le temps de le lui demander.

Je ne pouvais me tromper sur ce qu’exprimait en ce moment la physionomie de Hugh. Je connaissais ces éclairs fauves de son regard abrité sous ses sourcils froncés, et ces lèvres comprimées qu’il desserrait à peine pour laisser s’envoler une réponse contrainte. Cette fois cependant il éclata.

— J’ai fait une folie, Grisell !… Il fallait rester jusqu’au bout de