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sollicitée chaque jour par une attention nouvelle. En face d’un dévouement si continuel, de prévenances si ingénieuses, de sacrifices si multipliés, toute émulation, toute concurrence était impossible. — Décidément, me dit un jour Blanche, le capitaine est en déroute complète. Il suivait Laura comme son ombre ; mais Hugh est un soleil toujours au zénith.

Laura me confirma la vérité de cette plaisanterie en me déclarant quelques jours après, — rare et sublime confidence ! — qu’elle était folle de son mari. — Je voudrais tant qu’une occasion s’offrît de lui prouver ma reconnaissance par quelque grand sacrifice, ajouta-t-elle. — Ma chère, lui répondis-je, les occasions dont vous parlez sont assez rares ; mais on en trouve tous les jours de non moins précieuses, qui permettent, par de petits sacrifices multipliés, de rendre heureux celui qu’on aime.

Ces paroles la rendirent pensive. — Vous avez peut-être raison, Grisell, reprit-elle après quelques instans de silence. Eh bien ! dites franchement… Ai-je fait tout ce qu’il fallait pour que Hugh fût heureux ?

— Répondez vous-même à cette question.

— Parfois je me dis que non… Et si maintenant… Elle s’arrêta.

— Eh bien !

— … Si je venais à mourir…

— Allons donc !… Pourquoi vous laisser aller à ces folles appréhensions ?… Hugh ne vous le pardonnerait pas.

— Lui ?… Vous vous trompez… Il me pardonne tout.

Hugh montait en ce moment, et je fis signe à Laura de ne pas continuer. Mon frère était un peu pâle. — Eh bien ! Laura, dit-il avec un soupir qu’il réprima de son mieux, j’ai trouvé un acquéreur pour Thorney.

Laura devint tout à coup très rouge : — Oh ! s’écria-t-elle, attendez quelques semaines encore. Pour Dieu, ne vous pressez pas !…

— Voilà qui est bien, mais il faut vendre, reprit Hugh.

— Et par ma faute ! dit Laura baissant la tête.

— Voulez-vous bien vous taire ! s’écria mon frère en l’attirant à lui.

La question ainsi posée, Laura obtint, comme à l’ordinaire, ce qu’elle voulait, et cette fois le hasard lui donna raison. Pendant le délai qu’elle avait obtenu, un sien parent fort avare vint à mourir, la laissant unique héritière d’une fortune assez considérable. Thorney était sauvé. Je n’aurais pas cru que cette heureuse péripétie me donnât autant de satisfaction. Il est vrai que je pris en grande considération le chagrin que la vente du domaine des Randal eût fait éprouver à Hugh. Quant à la tante Thomasine, je crois qu’elle en