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nécessairement sur des faits très isolés. Cependant la politique ne suffit pas aux feuilles hebdomadaires ; elles doivent, sous, peine de ressembler aux almanachs de l’an passé, remplir leurs colonnes non de polémiques ou de discours politiques qui sont, au moment où elles paraissent, connus déjà de tout le monde, mais de matières, étrangères au gouvernement de la société, et qui puissent piquer la curiosité des lecteurs. Les glaces polaires et sir John Franklin, Herschel et les espaces célestes, le docteur Gall et les protubérances du crâne humain, Rome et les cérémonies de la semaine sainte atteignent ce but. Le journal hebdomadaire est donc un moyen d’information. Or l’information, c’est là surtout ce que les Américains cherchent dans un journal politique ou non politique quotidien ou hebdomadaire. Le succès des weekly newspapers donne, à le bien prendre, la seule explication sensible de l’immense publicité américaine, qui est née, qui s’est maintenue, qui grandit sans cesse, et dans des proportions démesurées, par le double fait d’un instinct de race, la curiosité, et d’un besoin impérieux d’information né lui-même des circonstances historiques et, si je puis m’exprimer ainsi, des obstacles géographiques.

J’avance ce paradoxe, qu’il n’y a pas dans le monde entier de populations plus curieuses que les populations anglo-saxonnes. Nous passons depuis longtemps pour la plus curieuse et la plus bavarde des nations, et cette réputation remonte haut, car nous la devons au grand Jules César lui-même, qui a saisi de son vif coup d’œil et décrit en traits immortels ce trait particulier du caractère national. Toutefois il y a bien des manières d’être curieux, et son récit même montre de quelle manière nous le sommes. Nous le sommes par plaisir, et ; s’il est permis de le dire, pour le plaisir d’autrui ; nous sommes curieux socialement. Comme les Celtes du temps de César, nous aimons mieux être renseignés par des lèvres vivantes que par une feuille de papier maculé ; nous préférons les nouvelles clandestines, qui ne s’écrivent pas, qui se racontent dans un salon, sous le manteau de la cheminée, aux nouvelles qui peuvent s’écrire et que chacun peut librement commenter. Cette particularité a eu des conséquences historiques fort remarquables : c’est d’elle qu’est née cette liberté de mœurs qui en France nous a tenu lieu de toutes les autres, c’est d’elle aussi que nous tenons cette indifférence pour la publicité régulière qui s’accorde assez bien avec notre goût modéré pour la liberté politique. Tout autre est le caractère de la curiosité anglo-saxonne : c’est une curiosité plus politique que sociale, s’inquiétant plus de l’intérêt que du plaisir, plus des choses que des personnes. C’est une curiosité plus âpre que vive, plus avide souvent que délicate ; mais elle est sérieuse et soutenue, et par la elle est le principe de plus