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plutôt qu’une cause. La cause véritable, il faut la chercher dans la curiosité sérieuse et dans l’ardeur d’information de la race elle-même, curiosité et ardeur aidées par mille circonstances, en Angleterre par l’esprit politique, la situation géographique, une infinie variété de sectes et de partis, favorable à la controverse, — en Amérique par l’esprit d’égalité, l’excessive décentralisation, le droit des états à se gouverner eux-mêmes, et les différences radicales d’institutions entre le nord et le sud. Ainsi chez les deux peuples, comme on le voit, les causes du succès de la presse se ressemblent beaucoup, et il est facile, une fois qu’on a constaté et expliqué les détails et les usages particuliers à chacun, de ramener ces causes à deux principales, — la curiosité, l’individualisme.


II. – REVOLUTION DANS LE JOURNALISME. – LA PRESSE A BON MARCHE.

Il ne faudrait pas croire cependant que cette publicité énorme date de fort loin aux États-Unis. En tenant compte de l’accroissement de la population et par conséquent de l’accroissement des lecteurs, il serait difficile encore de s’expliquer un tel phénomène ; mais depuis vingt-cinq ans la presse américaine a subi une révolution qui a multiplié à la fois le nombre des lecteurs et celui des journaux. Je veux parler de l’établissement de la presse à bon marché, penny press, comme on dit en Amérique. La presse française a subi une révolution semblable ; mais les résultats ont été bien différens. Le bon marché de nos journaux n’en a pas accru l’influence morale, il s’en faut ; les lois politiques auxquelles ils ont été soumis sous tous les régimes ont considérablement amoindri et gêné les résultats qu’ils pouvaient attendre de leur diminution de prix, et quoique le nombre des lecteurs ait augmenté, il n’est pas devenu assez grand pour permettre aux journaux une concurrence illimitée. Les entraves de la loi n’existeraient pas, qu’il serait très difficile que deux ou trois feuilles périodiques nouvelles pussent vivre honorablement en concurrence avec leurs aînées ; elles devraient se résigner à mourir, ou bien à tuer quelques-unes de leurs rivales. Cette révolution a produit des résultats tout contraires en Amérique. Le ton moral de la presse ne s’est pas élevé, mais en revanche les bénéfices matériels n’ont rien laissé à désirer. 568 journaux littéraires et 1,630 journaux politiques trouvent le moyen de vivre aux États-Unis avec un public de 21 millions d’hommes tous ayant fort peu de loisirs et très occupés à courir après la fortune. À la bonne heure ! si ce n’est pas le triomphe de la démocratie, c’est bien certainement celui de la presse démocratique. Il vaut la peine d’opérer une révolution quand on est sûr d’obtenir de tels résultats.

Racontons en détail l’histoire de cette révolution, elle est curieuse