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celui-là, vous frappe à première vue par son aspect démocratique. C’est une marchandise abondante et à bon marché. Papier grisâtre, mou et se déchirant aisément, impression incorrecte, caractères à demi effacés, rien de ce qui révèle le bon marché ne lui manqué. Le ton du journal est trop souvent en parfait rapport avec sa figure : injures, outrages, dénonciations personnelles, y abondent. Le tout ensemble, figure et ton, a quelque chose de vulgaire, coarse, comme disent les Anglais. Quand le journal américain s’indigne ou attaque, il outrage, et les mots de ruffian, liar, villain, abondent ; quand il plaisante, il n’est jamais gai ou ironique il est facétieux. Il a exactement la colère ou la gaieté des foules, et il s’élève rarement au-dessus de ce niveau. Son second caractère, et celui-ci ne frappe qu’à la longue et après une lecture répétée, c’est la vulgarité et la petitesse des intérêts dont il s’occupe. Sauf les occasions accidentelles comme les élections à la présidence et cette éternelle question de l’esclavage rarement les journaux yankees ont à prendre la défense d’une grande cause ; ce sont des polémiques à l’infini sur de misérables incidens qui cachent de misérables intérêts, sur une nomination de gouverneur, sur un siège vacant au congrès, sur une démonstration populaire, sur les menées obscures de quelque membre du sénat. Dans les polémiques relatives à l’esclavage même, ce n’est jamais la question morale qui fait le fond du débat ; pour peu qu’on y regarde attentivement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’intérêts individuels très éloignés de ce grand sujet. Cet article sur l’esclavage, où il n’est pas, à proprement parler, question de l’esclavage, vous en aurez la clé, si vous savez qu’il existe une famille van Buren qui appuie l’influence des démocrates free soilers ; cette sortie furibonde contre les agitateurs qui veulent briser l’Union ne doit pas vous en imposer : il ne s’agit pas de ce grand intérêt de l’Union ; il s’agit de nuire, s’il est possible, à la puissante influence de M. Seward. On sent à cette lecture que l’on est dans un pays absolument démocratique et où les intérêts individuels se donnent libre carrière ; on sent aussi que l’on est chez un peuple jeune, qui n’a pas encore d’histoire, et dont les élémens n’ont pas assez de cohésion pour que sa politique ait de l’unité, et ses intérêts de la grandeur.

Cette absence de grandeur dans la politique imprime au journal américain un cachet singulier de sécheresse et de monotonie. Dans une lettre écrite de Paris en 1847, M. Bennett reprochait précisément aux journaux français ce même vice de monotonie. « Depuis quatre mois, disait-il, les journaux vivent sur ces deux thèmes, les mariages espagnols et Cracovie, Cracovie et les mariages espagnols. Des lecteurs américains ou anglais seraient bien vite fatigués et ennuyés d’entendre ces deux éternelles notes. » N’en déplaise à M. Bennett