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C’est le tableau complet de cette métamorphose à peu près sans exemple qui remplit les deux nouveaux volumes publiés par M. Guizot. Ces deux volumes ont le double mérite de ressembler beaucoup à leurs aînés et d’en être à la fois parfaitement distincts : l’art est le même, et la perfection du récit au moins égale, peut-être encore supérieure. Le sujet est d’un tout autre ordre ; il est moins élevé, moins sérieux, moins émouvant : ce n’est pas un grand drame comme le règne de Charles Ier, comme le protectorat de Cromwell ; c’est de la tragi-comédie politique. Ce fantôme de protectorat qui s’évanouit dès sa naissance, ces semblans de gouvernemens tantôt civils et tantôt militaires qui tour à tour lui succèdent et tour à tour abdiquent et disparaissent, s’annulant, s’éteignant l’un par l’autre ; cette royauté à qui le bien vient en dormant, impossible d’abord et bientôt nécessaire, qui ressuscite à son insu par les soins d’un mystérieux complice, et qu’à la fin tout le monde accepte, parce que tout le reste est usé et qu’il n’y a plus qu’elle dont on puisse essayer encore, tout cela n’est, à coup sûr, ni sombre ni terrible. C’est un spectacle varié, récréatif, souvent profond et toujours attachant, qui parfois provoque le sourire, parfois la réflexion, une sorte d’intermède de demi-caractère qui coupe et interrompt admirablement les graves tragédies auxquelles l’auteur nous a fait assister.

Au premier abord, on s’étonne que ces vingt et un mois d’interrègne, si ternes et si confus chez tous les historiens, soient d’étoffe à tenir une aussi large place dans une œuvre dont un des caractères, un des premiers mérites, est le nerf et la concision du récit. Deux volumes pour Richard Cromwell, pour les derniers soupirs du rump, pour George Monk et sa stratégie silencieuse, le même nombre de volumes, sinon de pages, que pour les vingt-cinq années de Charles Ier et les dix ans d’Olivier Cromwell, il y a là, tant qu’on n’a pas ouvert le livre, de quoi s’étonner un peu. À mesure qu’on y pénètre, l’étonnement disparaît ; on s’aperçoit que ces vingt et un mois sont une mine inépuisable pour qui sait y fouiller, que, bien loin de manquer de matière, l’auteur élague et choisit, toujours sobre, toujours contenu, toujours fidèle à sa méthode et à ses propres traditions.

Il est vrai que dans ce champ jusque-là presque aride il trouve une abondance que ne soupçonnaient guère ni Hume au dernier siècle, ni d’autres encore plus habiles dans le siècle présent. Des matériaux récemment découverts, des documens inexplorés ont comme transformé cette curieuse période, et en font, en réalité, un sujet tout nouveau. Parmi ces documens, il en est, comme le journal de Burton par exemple, qui nous viennent d’Angleterre et qui mettent au jour ce qu’on peut appeler le côté parlementaire de l’interrègne, notamment les débats et la vie intérieure du parlement