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C’est donc un rare bonheur pour l’histoire de la révolution d’Angleterre que nos archives des affaires étrangères aient conservé ces dépêches de M. de Bordeaux. Ce qui n’est guère moins heureux, c’est qu’un tel interprète se soit chargé de les mettre au jour. M. Guizot ne s’est pas contenté d’en faire son profit, son étude, de s’en pénétrer, de s’en pourrir ; il a voulu que le public pût juger par lui-même du parti qu’il en a tiré. Nous aimons ce reste d’habitude et de déférence parlementaire, ce dépôt de pièces sur une autre tribune. La vaste correspondance de l’agent de Mazarin, ainsi produite presque intégralement, ou du moins par fragmens considérables, devient un appendice qui lui-même est un livre. C’est une véritable histoire sous forme épistolaire, une histoire contemporaine, que M. Guizot met en regard de son œuvre, pour en faire mieux sentir toute la vérité.

Les pièces justificatives qu’on imprime à la fin des livres jouent rarement un pareil rôle. Leur sort est d’être consultées et non pas d’être lues. À moins d’un grand loisir ou d’un sérieux intérêt d’étude, personne ne se hasarde dans ce dédale incohérent, et si quelques-uns s’y aventurent, ce n’est qu’à bâtons rompus. Ici, rien de semblable ; non-seulement on peut lire cette correspondance, mais la lecture en est attrayante et facile ; on s’y attache, on ne la quitte plus, surtout quand on a la prudence de n’y entrer que sous les auspices de M. Guizot et à la clarté de son récit. Si les rôles étaient renversés, s’il s’agissait de commencer par la correspondance, nous ne répondrions pas qu’il y fît assez jour pour qu’on se plût à y rester long temps. Il faut un guide pour faire un tel voyage. Ces lettres sont adressées soit à M. de Brienne, soit à Mazarin lui-même, c’est-à-dire à des hommes qui, sans habiter l’Angleterre, suivaient des yeux tout ce qui s’y passait, et n’avaient pas besoin qu’on les mît au courant. Ce qu’on leur disait à demi-mot, ils étaient prêts à le comprendre, et la moindre allusion suffisait à indiquer les choses qu’on ne leur disait pas. Que d’énigmes pour vous, si vous alliez sans commentaire vous mêler dans ces confidences ! Mais quand vous venez de lire un lumineux récit, qui ne laisse dans l’ombre ni un fait ni un homme qu’il vous importe de connaître, quand vous l’avez encore tout frais dans la mémoire, vous vous trouvez pour un moment presque aussi bien instruit que Mazarin lui-même. Comme lui, vous avez la clé de ce qu’on vous raconte, vous comprenez de qui on parle, vous con naissez les choses du jour et de la veille, vous savez même celles du lendemain, avantage que vous avez sur lui, malgré tout son génie. Ce qu’il cherchait à grand’peine, ce qu’il lui fallait deviner, ce qui pour lui était l’avenir, pour vous c’est le passé, vous le savez comme le reste.