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considérables sur la géographie botanique de ces belles contrées[1]. Chef du service médical aux Indes hollandaises, il a pu se livrer, sur ce magnifique théâtre de faits, à ses goûts pour l’histoire naturelle. Les premières gravures de ses ouvrages ont été exécutées sur place par un homme condamné à mort, dont M. Blume obtint la grâce à la condition que cette main criminelle servirait désormais les intérêts de la science. Plus tard, un artiste javanais, dont j’ai vu quelques bons tableaux, lui prêta son concours. Dans les livres de M. Blume, mais plus encore dans sa conversation vive et animée, on reconnaît l’enthousiasme d’une âme fortement émue par la majesté de la flore indienne. « Notre soleil, à nous autres peuples du nord, me disait-il, est la lune du soleil que j’ai vu là-bas. »

M. Blume a pour contradicteur et pour rival dans l’université de Leyde un autre Allemand, M. Junghuhn, qui a également voyagé aux Indes. Les deux savans se sont même livrés l’un contre l’autre à des luttes personnelles et injurieuses qui rappelaient le moyen âge. On attribue à M. Junghuhn un livre anonyme, intitulé Nuit et Jour. Ce sont des dialogues entre la lumière et les ténèbres. L’auteur cherche à prouver que l’avènement du christianisme a arrêté dans le monde le développement de la science, de la civilisation et des arts, et que dans tous les cas on a tort de vouloir l’introduire parmi les Javanais, formant une société séculaire. Ce démenti donné aux idées reçues sur la succession féconde des croyances religieuses et sur la marche providentielle des sociétés fit scandale. Telle est pourtant la tolérance des mœurs en Hollande, tel est surtout le respect des convictions même les plus opposées au sentiment général, que le savant conserva sa position officielle. Il est juste de dire que M. Junghuhn s’est montré dans ses ouvrages géologue et botaniste très remarquable[2]. On lui doit des vues originales sur la constitution physique de l’archipel indien. M. Junghuhn est d’ailleurs un des savans les plus nomades qu’on puisse voir. Aujourd’hui en Hollande, nul ne peut

  1. Ses principaux ouvrages sont : De Indische bij (l’Abeille de l’Inde) ; — Bydragen tot de Flora van neerlandsch Indië (Idée générale de la flore des Indes néerlandaises), Batavia 1828 ; — Rumphia sive commentationes botanicæ imprimis de plantis Indioe orientalis, tum penitus incognitis, tum quæ in libris Rumphii, Roxburghii, Waltichii aliorumque recensentur, scripsit C. L. Blume, cognomine Rumphius ; Lugduni Batavorum 1835 ; — Flora Javæ nec non insularum adjacentium. Bruxelles 182C ; — Muséum botanicum, 1849-1851 ; — Ce surnom de Rumphius tient à un usage de l’université de Leyde, qui veut que certains professeurs adoptent ainsi le patronage des anciens maîtres dans la science qu’ils exercent. M. Blume a contribué à faire connaître en Europe la rhamée, une plante de Java qui remplacerait avec avantage le chanvre dans les usages industriels, notamment dans la fabrication des voiles de navire. Il prépare en ce moment une volumineuse histoire des orchidées dont il a bien voulu me montrer les dessins.
  2. Il fait imprimer en ce moment une carte géographique en quatre parties sur l’île de Java.