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Corday ; mais je crois pouvoir affirmer qu’elle ne se révèle pas dans la Bourse. De quel nom baptiser cette comédie qui n’égaie pas, cette fable qui n’est pas dramatique ? C’est peut-être un genre nouveau ; c’est un mélange d’épître et de satire qui n’est pas encore classé dans notre littérature.

Si l’on essaie de définir le vrai caractère de cette composition, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elle se rattache d’une manière directe aux doctrines qui ont prévalu dans les autres branches de l’art. M. Ponsard, en écrivant sa comédie, a suivi les traces des peintres et des sculpteurs : il a négligé l’idéal pour ne s’attacher qu’à la réalité. Il a dessiné quelques portraits d’après ses souvenirs, sans se donner la peine d’agrandir, de transformer ce qu’il avait vu par une réflexion persévérante. Dans la peinture, dans la sculpture, cette méthode est applaudie, ceux qui refusent de l’adopter sont traités de rêveurs. Si l’on n’y prend garde, l’imitation matérielle envahira bientôt la littérature comme les arts du dessin. La comédie nouvelle de M. Ponsard, sans être calquée sur la vie réelle, fait une part si mince à l’imagination, à la pensée, qu’elle peut compter parmi les œuvres de pure imitation. Or, s’il est vrai que la sculpture et la peinture, en négligeant l’idéal, se condamnent à la stérilité, il n’est pas moins vrai que la poésie dramatique, en suivant la même route, arrive à la même impuissance. Si l’on compare les mémoires écrits sous le règne de Louis XIV aux comédies de Molière, on n’a pas de peine à retrouver les élémens qu’il a mis en œuvre ; mais on voit qu’il les a transformés, qu’il les a faits siens par la puissance de sa volonté, par le travail de sa pensée. Les railleries qu’il a prodiguées contre les médecins sont indiquées dans la correspondance de Guy Patin. Les ridicules de cour dessinés par Saint-Simon ne sont pas sans parenté avec les ridicules dessinés par l’auteur du Misanthrope. Cependant on se tromperait étrangement en affirmant que Molière s’en est tenu à l’imitation. Pour quiconque sait comprendre ses œuvres, il est évident qu’il fait une large part à l’idéal. L’élève de Gassendi avait gardé pour la philosophie une affection sincère, et ne se contentait jamais de la surface des choses.

Aujourd’hui l’on veut réduire la comédie à l’imitation. Voir ce qui se passe et le mettre sur la scène est aux yeux de bien des gens une preuve éclatante d’habileté. Je regrette que M. Ponsard, qui avait débuté d’une manière poétique, se soit rallié dans son dernier ouvrage à ces doctrines stériles. Malgré la bienveillance que le public lui témoigne, il ne tardera pas à sentir qu’il s’est trompé. Tant qu’il a tenu compte de l’idéal, tant qu’il s’est maintenu dans les régions élevées de la pensée, la foule ne s’est pas contentée d’applaudir ses œuvres, elle a voulu les revoir. Qui donc, après avoir entendu la Bourse, voudrait l’entendre une seconde fois ? Pour que le théâtre