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intéresse, il faut absolument qu’il nous offre quelque chose de plus que l’image de la vie réelle. Ceux qui en doutent et ne veulent pas se rendre aux argumens sérieux, qu’ils traitent d’arguties, peuvent s’édifier en voyant la conduite de la foule. Toutes les fois que dans une œuvre dramatique l’imagination n’intervient pas d’une manière puissante, une soirée suffit à contenter la curiosité. Toutes les fois au contraire que la réalité se trouve agrandie par la pensée, on éprouve le besoin d’écouter encore ce qu’on a déjà écouté. Le théâtre alors n’est plus un divertissement frivole, mais une étude attrayante. Il y a treize ans, quand M. Ponsard interrogeait les premières pages de Tite-Live, et nous retraçait la mort volontaire de Lucrèce, j’ai lieu de croire qu’il ne mettait pas en doute ces vérités. Les a-t-il oubliées dans l’enivrement du succès ? Ce serait grand dommage, car, s’il ne possède pas des facultés de premier ordre, il est certain qu’il ne peut être confondu avec les faiseurs qui se donnent le nom d’auteurs dramatiques. S’il veut garder le rang qu’il a conquis, il n’a rien de mieux à faire que d’abandonner l’imitation pour revenir à l’idéal.

Malheureusement ses amis lui prodiguent la louange, et lui persuadent qu’il ne peut faillir. C’est la destinée commune de tous les poètes que la foule a salués de ses applaudissemens. Une fois en possession de la renommée, ils n’écoutent plus ni conseils ni avertissemens ; ils prennent volontiers le doute pour une offense. Ils ne veulent pas être discutés, et, pour leur paraître intelligent, il faut les admirer sans réserve. M. Ponsard, chef de l’école du bon sens, saura-t-il résister aux dangers de la louange ? Ce serait la manière la plus certaine de prouver son originalité. S’il consentait à écouter les conseils, je ne dis pas des amis qui l’entourent, mais de ceux qui aiment son talent, qui ont étudié ses œuvres avec une attention bienveillante, il renoncerait à la comédie. Il n’y a pas dans son esprit assez de vivacité pour qu’il puisse réussir dans la peinture de la vie familière. On m’opposera le succès de l’Honneur et l’Argent, le succès de la Bourse ; on me dira qu’il faut se rendre à l’évidence : l’accueil fait à ces deux ouvrages ne change pas ma conviction. M. Ponsard ne comprend pas d’une manière complète la mission de la comédie, ce qu’il a fait nous autorise à le penser. L’antiquité disait que la comédie châtie les mœurs en riant. L’auteur de la Bourse paraît n’avoir accepté que la première moitié de cette définition : il essaie de châtier les mœurs, mais il ne rit pas, ou s’il veut crayonner le ridicule, il réussit bien rarement à égayer l’auditoire. Il obtient son approbation par la fermeté de ses principes, il n’excite pas l’hilarité.

La comédie sans gaieté, telle que la conçoit M. Ponsard, la comédie purement didactique, ne pourra jamais s’acclimater parmi nous. Les idées les plus vraies, les sentimens les plus généreux ne suffisent