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Depuis treize ans, M. Ponsard est écouté avec une faveur marquée. Si toutes ses œuvres n’ont pas obtenu un égal succès, la bienveillance et l’empressement ne leur ont jamais fait défaut. Il est donc de ceux qui appellent la discussion. Quoi qu’il fasse maintenant, il n’a pas à craindre l’indifférence. L’engouement est le seul danger qu’il puisse redouter. S’il ne veut pas s’égarer, il faut qu’il apprenne à douter de lui-même, à ne pas dédaigner les conseils. Trois fois déjà il s’est adressé à l’histoire ; la première et la troisième de ses tentatives dans le domaine du passé sont à coup sûr ses titres les plus solides. Lucrèce et Charlotte Corday ont marqué sa place parmi les écrivains habiles et les penseurs élevés. Il y a dans ce double succès un enseignement qu’il ne doit pas négliger. S’il a montré plus d’une fois une imagination ingénieuse, il n’a jamais étonné personne par une invention féconde. C’est pourquoi l’histoire lui serait un puissant auxiliaire. L’étude des faits accomplis, la connaissance des personnages qui ont pris part aux événemens, ne le dispenseraient pas d’inventer, mais lui rendraient la tâche plus facile. Sans se rallier à la doctrine qui voit dans la réalité historique l’idéal de la poésie dramatique, il réagirait heureusement contre la doctrine contraire, qui ne demande au passé que des noms pour baptiser les caprices de l’imagination. Dramatiser l’histoire, tel est le but que M. Ponsard doit se proposer. Il a prouvé qu’il sait pénétrer le sens des événemens, et lire dans la conduite des acteurs les motifs qui les ont guidés. Qu’il mette à profit ce don précieux. L’Angleterre et l’Allemagne lui offrent de glorieux modèles dans l’interprétation poétique du passé. Sans doute il n’arrivera jamais à les égaler, mais en les étudiant il doublera ses forces, et les gages qu’il a déjà donnés nous permettent d’espérer encore pour lui un brillant avenir. Si, au lieu d’interroger les faits accomplis, de mettre en scène les personnages qui ont tenu dans leurs mains le sort des nations, il s’obstine à vouloir peindre la société contemporaine, malgré la bienveillance qu’il a toujours rencontrée, il est à peu près certain qu’il verra déchoir sa renommée. Le ton comique n’est pas dans sa nature. Quand il veut railler, il déclame, et confond presque toujours la colère de la satire avec les leçons de la comédie. Son talent d’écrivain est aujourd’hui en pleine maturité ; il fera désormais ce qu’il sait faire dès à présent, et tenterait vainement d’imposer à son esprit de nouvelles habitudes. Puisqu’il ignore la gaieté, puisqu’il plaisante laborieusement, qu’il se contente de son domaine naturel, de l’interprétation poétique du passé. La comédie demande un esprit délié, une souplesse dépensée qu’il ne possède pas.


GUSTAVE PLANCHE.