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qu’elles ont dans la pièce, chanter, deux types, le brio de la fantaisie vocale et la tendresse du sentiment. Mozart, avec ce goût parfait qui le distingue, leur a distribué à chacune les gorgheggi et les notes émues qui pouvaient le mieux faire ressortir leurs qualités respectives. Bien que cette esquisse de l’impresario soit de la même année que le Nozze di Figaro, on la dirait d’une date beaucoup antérieure et presque de l’enfance de Mozart ; mais les dieux n’ont pas d’enfance et parlent toujours d’or. La petite pièce est chantée avec ensemble au Bouffes-Parisiens, particulièrement par Mlle Dalmont, personne gracieuse, avenante, dont la voix de soprano, juste et suffisamment timbrée, ne manque pas de flexibilité. Les amateurs que le nom de Mozart attirera dans la petite salle des Bouffes-Parisiens feront bien d’écouter aussi les Pantins de Violette, la dernière improvisation gracieuse de M. Adolphe Adam, que la mort est venue surprendre, le 4 mai, par un de ces coups foudroyans qui étonnent les esprits les plus aguerris à ce genre d’émotions. Ce n’est pas le moment d’apprécier comme il convient l’œuvre très mêlée de ce facile compositeur, dont nous n’avons jamais méconnu le mérite, mais que nous avons dû combattre pendant sa vie ; parce que ses succès mêmes nous paraissaient d’un dangereux exemple. Dans un temps où tout se publie avec fracas, excepté la vérité que tout le monde a sur le bout des lèvres, nous avons eu le courage de dire à M. Adolphe Adam qu’il faisait un usage regrettable de ses facultés, et que, pour un membre de l’institut, un professeur du Conservatoire, une notabilité de l’école française, il y avait quelque chose de mieux à faire que d’écrire dans les journaux des articles sans portée, qui compromettaient son nom et son talent. Sans doute, de dures nécessités condamnaient M. Adam à ce labeur ingrat, sur lequel, nous assure-t-on, il ne se faisait d’ailleurs aucune illusion. Eh ! qui donc ne les connaît pas, ces cruelles messagères du destin ? croit-on que nous soyons tous sur des roses ? il n’en est pas moins vrai de dire que cette intromission des artistes créateurs dans le domaine de la critique, ou, pour mieux s’exprimer, sur le forum de la publicité, est une des causes qui ont le plus contribué à l’abaissement des esprits et des caractères. On l’a dit ici même tout récemment, et avec une autorité qui a eu du retentissement, ces lâches complaisances de la critique, cet échange perpétuel de mensonges affectueux, cette conspiration permanente contre la venté générale au profil de misérables coteries, ont altéré tous les rapports des choses et ravalé l’idéal au niveau d’une enseigne de boutique ; mais, comme l’a dit aussi un autre écrivain de talent à propos des Contemplations de M. Hugo, la raison finit toujours par avoir raison.

La perte regrettable de M. Adolphe Adam laisse une place vacante à l’Institut. Les candidats sérieux qui se présentent pour le remplacer sont MM. Niedermeyer, Félicien David et Charles Gounod. Les chances paraissent être en faveur de M. Niedermeyer, homme de mérite, musicien instruit, qui a composé plusieurs grands opéras, Stradella, Marie Stuart et la Fronde, et plusieurs chefs-d’œuvre mélodiques qui sont connus de toute l’Europe, tels que le Lac de M. de Lamartine. M. Niedermeyer, qui, à une précédente élection, a déjà obtenu le suffrage de tous les membres de la section de musique, serait un choix d’autant plus excellent qu’il représenterait à l’Institut la tradition de la belle musique religieuse du XVIe siècle, qui se résume dans le