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dans les chaudières, au moyen des constructions élevées par les colons d’été, et dans lesquelles ils se réfugièrent, ces malheureux réussirent à se conserver vivans jusqu’à l’arrivée de la flottille qui parut au printemps sur ces rivages. Le sort de ces huit hommes qui avaient heureusement échappé à une mort qu’on pouvait croire certaine réveilla chez les tenaces Hollandais le désir, déjà ancien, d’établir dans ces mornes solitudes des colonies permanentes. De nouveaux encouragemens ayant été proclamés dans toute la flotte[1], sept hommes de bonne volonté offrirent leurs services. On les débarqua dans l’île de Saint-Maurice pour y passer l’hiver. Sept autres volontaires furent conduits en même temps dans l’île d’Amsterdam, au nord-est du Spitzberg, et après leur avoir laissé des vêtemens et des provisions de bouche, on les abandonna. Quand la flottille de pêche retourna l’année suivante dans les mers du Groenland, les Zélandais arrivèrent les premiers en vue de l’île Saint-Maurice. Le cœur de ces bons matelots battait d’impatience et d’anxiété, il leur tardait de connaître le sort de leurs braves camarades. Quelques-uns d’entre eux s’approchèrent de la côte dans un bateau : hélas ! la côte était silencieuse et déserte. Ce fut alors un défi à qui courrait le plus vite et à qui arriverait le premier devant les huttes de ces pauvres gens ; mais, ne voyant personne ni sur le rivage ni sur le seuil des habitations, ils en vinrent à concevoir d’affreuses inquiétudes. À peine entrés dans les huttes, ils trouvèrent les cadavres des sept hommes qui avaient été laissés dans l’île l’année précédente. Chacun d’eux était dans sa cabine. Auprès de quelques-uns, on voyait encore du fromage et du pain, dont ils s’étaient nourris peu de temps avant leur mort ; auprès d’un autre, on trouva un livre de prières ouvert à la page où il avait lu. Les matelots restèrent confondus d’admiration et de terreur à la pensée des maux que ces malheureux avaient soufferts dans leur effroyable exil. Le commandant du navire, ayant appris la funeste nouvelle, se rendit lui-même à terre ; il donna des ordres pour que les corps des sept victimes fussent mis dans des cercueils et enterrés provisoirement sous la neige, jusqu’à ce que le sol fût devenu moins dur. Ils furent

  1. Le but à la fois scientifique et industriel de ces terribles essais est indiqué dans une sorte de procès-verbal où l’on reconnaît bien l’esprit austère et religieux de la vieille Hollande. « Il a plu à Dieu, créateur et conservateur de l’univers, par l’incontrôlable volonté de qui les conseils des hommes sont gouvernés, d’inspirer à la compagnie du Groenland la résolution suivante : — il sera fait des études pratiques sur les véritables conditions de l’hiver dans les régions du Groenland, concernant surtout les nuits et les autres phénomènes atmosphériques dont disputent les astronomes. En conséquence il a été résolu que sept des plus braves et des plus habiles de la flotte seraient admis sur leur consentement à demeurer là toute la saison d’hiver. » Suivent les noms des héroïques marins qui se proposaient eux-mêmes pour tenter l’aventure.