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éternelle des glaces, il y a pourtant de belles journées au Spitzberg, et qui rappellent le doux climat de la Hollande. Je me souviens surtout, non sans plaisir, d’une excursion que nous fîmes avec le capitaine et quatre hommes de l’équipage sur une des hauteurs de l’île. C’était la nuit, quoiqu’il fît jour. Le soleil se montrait généreusement dans le ciel, seulement il répandait une lumière plus douce que pendant la journée, au point que nous pouvions fixer sur lui nos yeux. Nous avions gravi les rochers qui dominent le port des Anglais, afin de suivre sur la mer les traces d’une baleine qui nous avait échappé durant la journée. L’océan s’ouvrait devant nous immense. Au milieu du port, d’autres pêcheurs de baleines ramaient dans leurs longs bateaux, que nous pouvions à peine distinguer. Les rochers de glace, bizarrement construits, crevassés de lézardes du plus beau bleu, formaient un contraste frappant avec les sombres roches qui les entouraient. Ces roches, les unes nues, les autres recouvertes d’un fauve manteau de mousses et de lichens, étaient elles-mêmes imposantes à voir. Notre imagination prêtait à ces masses irrégulières toute sorte de formes : on aurait dit une végétation de granit, tant les blocs se tordaient, s’assemblaient capricieusement entre eux comme les arbres d’une forêt. L’air était si calme, que nous pouvions saisir la moindre brise, et il ne faisait point froid. Le rivage était rempli de morses, ou, comme on les appelle vulgairement, de chevaux de mer. Ils ronflaient si fort que nous pouvions les entendre, quoique à une grande distance. On les aurait pris pour un troupeau de bœufs dormant et ruminant dans une prairie. Cet animal tient en effet du bœuf et de la baleine. Nous regrettâmes fort de ne point être à portée de leur donner de nos nouvelles. Cette chasse n’est pourtant pas sans danger. Il existe parmi ces animaux une sorte d’assurance mutuelle contre les attaques de l’homme. Quand vous frappez un morse dans l’eau, tous ses camarades viennent pour le venger et le défendre. Ils accourent alors par bandes, entourent la chaloupe d’où le coup est parti, et cherchent à la renverser. Le plus souvent ils enfoncent leurs défenses dans la proue du bateau, dont ils percent les planches. Le danger augmente encore, si l’on a eu le malheur de maltraiter un de leurs petits : la mère s’élance avec un courage extrême, assistée par les autres chevaux marins, qui, menaçans, se soulèvent même hors de l’eau sur le plat-bord. La morale de ces animaux, qui leur fait considérer toute attaque individuelle comme une injure collective, serait fort inquiétante, si les pêcheurs n’avaient inventé à leur tour un moyen de défense. Pour se tirer d’une situation si critique et pour repousser l’assaut des morses furieux, on leur jette du sable. Ce sable, lancé dans les yeux, les aveugle et les force à se disperser. À terre, on les tue assez aisément avec de longs couteaux. Nous en rencontrâmes