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babiller ces admirables solitudes. « Ah ! les beaux arbres I » m’écriai-je transporté. — « Oui, répondit un de mes voisins, cela ferait du beau bois de construction. » Je me retournai avec dédain : « Monsieur est sans doute Américain ? » demandai-je. — « Oui, monsieur. »

Houston est une misérable petite ville composée de vingt maisons de brique alignées et de cent cabanes de bois disséminées parmi des troncs d’arbres coupés. Elle est peuplée de méthodistes et surtout de fourmis. Ces fourmis se promènent dans toutes les chambres en processions interminables ; le plancher, les murailles, le plafond, sont parcourus en tous sens par les noires colonnes de ces bataillons toujours en marche. Les habitans, pour soustraire quelque chose à leurs infatigables reconnaissances, placent sous les pieds des lits, des tables et des buffets, de petits vases pleins d’eau. Je me couchai dans un lit ainsi protégé, ou, comme on pourrait dire en se servant d’un vieux mot qui a été français, insulé, et je dormis paisiblement au milieu des ennemis. Le lendemain, en m’habillant, je fus pris d’un chatouillement universel, puis je sentis des piqûres depuis les pieds jusqu’aux épaules ; je jetai bien vite mes habits. J’avais oublié de les placer pendant la nuit sur mon lit ou sur une table, sur quelque meuble inaccessible, et ils avaient été envahis. Je les secouai vigoureusement, et, les ayant remis, au risque d’emporter quelques-uns des hôtes qui s’en étaient emparés, je me sauvai de cette fourmilière. Pour fuir à San-Antonio, je pris la poste.

La poste est une charrette attelée de quatre chevaux vigoureux. J’étais le seul voyageur. Nous partîmes au galop. Un pont large de six ou sept pieds, fait de deux pièces de bois et de branches mal jointes, est jeté entre les deux monticules qui enserrent le Bufalo ; nous y passâmes à fond de train. Je fus un peu effrayé, car le moindre obstacle pouvait nous lancer dans le précipice ; mais je n’eus pas longtemps le loisir d’y penser. Les soubresauts de la charrette, les cahots me ballottaient si bien, me menaçaient d’une chute si imminente, que je me cramponnai en désespéré à ce rude véhicule, comme un naufragé s’accroche à un rocher en dépit des vagues qui le heurtent et le battent. Bientôt cependant, brisé, moulu, épuisé, je lâchai prise et m’abandonnai aux chocs et au roulis. Les routes du Texas sont presque toutes tracées d’une façon économique et primitive ; dans les bois, de simples entailles sur les arbres indiquent le chemin ; si quelque arbre est trop embarrassant, on le coupe à un pied ou deux du sol, comme pour ménager çà et là des cahots ; dans les endroits découverts, il n’y a pas de route tracée, et l’on va à sa guise sur un terrain plat et sans aspérités. C’est pour cela sans doute que la poste court à toute bride dans les bois, passant sur les troncs,