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ses états. L’agitation fut extrême dans tous les Pays-Bas, elle se prolonge encore. Les sièges restaurés demeurèrent debout ; mais cette mesure intempestive faillit compromettre la liberté de conscience dans un pays qui, à travers les souvenirs de l’histoire, envisage toujours l’église romaine comme le drapeau de la domination étrangère. La plus violente polémique éclata dans les journaux et dans les chaires. Cette levée de boucliers dénota du moins la force et l’énergie du protestantisme batave. Les vieux souvenirs du Taciturne et de la guerre contre les Espagnols furent évoqués avec transport ; on en appela aux ancêtres, qui avaient fondé sur la réforme religieuse la nationalité néerlandaise ; on somma leurs ombres de paraître et de combattre dans la mêlée. Les représailles étaient surtout dirigées contre le parti catholique, non contre la religion catholique elle-même. En Hollande, toutes les croyances sont couvertes par la loi d’une protection égale. Cette tolérance est même passée dans les mœurs[1]. Ce qu’on réprouve, ce sont les menées et les intrigues d’une opinion plus politique encore que religieuse, et qu’on accuse d’avoir favorisé, au moins par son indifférence, la séparation de la Belgique. Le parti catholique a des historiens et des journalistes. Les protestans hollandais accusent ces historiens de dénaturer les faits relatifs à la réformation, de méconnaître les services rendus au pays par les fondateurs de la liberté batave, d’insulter le dogme national qui servit de barrière à la domination de l’étranger. Le langage des journalistes catholiques n’était pas de nature, il faut le reconnaître, à calmer l’irritation des esprits. À les entendre, les écrits de leurs adversaires étaient « les réceptacles impurs des plus dégoûtantes infamies… » Le débat fut porté jusque sur le terrain de la littérature et des arts. Depuis quelques années, il s’est aussi formé en Hollande une école qui, reniant, à peu d’exceptions près, les monumens de la renaissance et les poètes nationaux des trois derniers siècles, réserve son admiration exclusive et outrée pour les édifices du moyen âge, pour les ouvrages des saints, pour les légendes. One carte géographique fut imprimée à Bréda, au moyen de laquelle l’auteur, effaçant les délimitations politiques et nationales, enveloppait les Pays-Bas, ou, pour mieux dire, les cinq évêchés restitués par le pape, dans la grande unité catholique. De ce coup, le Dieu de la vieille Néerlande, de God van Nederland, comme disent certains protestans, se trouvait supprimé. Toutes ces provocations eurent pour effet malheureux de ranimer dans les Pays-Bas contre les catholiques des antipathies éteintes, aujourd’hui l’émotion

  1. Les catholiques hollandais sont redevables de cette liberté de conscience à la révolution française ; c’est un fait qu’ils affectent trop souvent de méconnaître.