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II. – LA MISSION.

La mission que je partageais avec l’abbé Dubuis comprenait les Allemands catholiques disséminés dans les villes, colonies et villages, ainsi que les soldats irlandais qui servaient dans les troupes américaines chargées de réprimer les incursions des Indiens. Les points principaux étaient : à l’ouest, Vandenberg, la colonie et le camp de Dahnis, et plus loin un autre camp américain, situé sur la rivière de la Leona ; au nord, Fredericksburg ; au sud, Braunfels, que j’avais traversé en venant à San-Antonio. Je n’avais pas affaire aux Mexicains. La seule langue étrangère que je connusse, l’italien, m’était inutile ; je ne savais que quelques mots d’anglais, et j’ignorais l’allemand, qui m’était indispensable. Cependant je me rendis sans retard et seul à Castroville, résidence de l’abbé Dubuis, qui devenait aussi la mienne ; l’abbé Dubuis, ayant affaire à Braunfels, ne pouvait venir m’y installer.

En arrivant à Castroville, je me dirigeai vers la maison du bon missionnaire pour m’y établir. Quel fut mon étonnement en la trouvant habitée ! Une famille s’en était emparée et vivait là comme chez elle. Une maison vide est bonne à prendre. On ne me reçut pas cependant comme la lice de La Fontaine ; on fut très gracieux, je dois le dire : on m’arrangea un lit, on me fit les honneurs de la maison qu’on avait usurpée. Je dormis si bien près de ces amis inattendus, que je me levai beaucoup plus tard que le soleil : je m’habillai en toute hâte et je courus dire la messe dans la misérable cabane qui s’appelait l’église. Personne n’y assista ; on ignorait mon arrivée. Après cet acte solitaire, je fis l’examen de la maison. C’était l’abbé Dubuis qui l’avait bâtie avec le père Chazelle, son compagnon, qui était mort. Elle était de bois, de pierre et de brique ; les angles s’étaient disjoints par endroits, et ouvraient un passage très fréquenté aux lézards et aux serpens, accompagnés de rats, de fourmis et de scorpions. Ce domaine consistait en deux chambres séparées par un corridor et un grenier, précédées d’un jardin potager, d’une basse-cour, et flanquées de deux cabanes, dont l’une était à volonté une écurie, un grenier d’abondance et un poulailler, quelquefois tout cela ensemble, et dont l’autre, faite de branches avec un toit de chaume, contenait la cuisine et l’école. Dans le jardin, près de ma chambre, était la tombe de l’abbé Chazelle, toute parfumée de résédas.

Les deux compagnons avaient été très malades en même temps ; l’un gisait à terre sur une peau de buffle, l’autre languissait sur une table qui lui servait de lit. Pas un médecin pour les soigner, et, pour toute médecine, un peu d’eau fraîche. Un jour que tous deux pouvaient