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avait épuisé ses provisions, et, ne trouvant que peu de fruits dans les bois, commençait à sentir la faim, quand il vit des colonnes de fumée sortir d’une clairière : aussitôt il dirige ses pas de ce côté. Des Peaux-Rouges y avaient établi leur camp. À la vue de l’étrange promeneur, ils jetèrent des cris et se levèrent pour s’enfuir : le bon prêtre prodiguait les signes les plus éloquens pour les arrêter et les rassurer, pour leur faire comprendre qu’il avait faim. Les Indiens, n’osant pas se mettre mal avec ce génie inconnu, lui tendirent en tremblant du café, du maïs, de la viande de mulet, qu’il mangea avec grand appétit comme un simple mortel. Ce repas lui rendit les forces nécessaires pour atteindre Fredericksburg.

Au mois d’octobre 1848, deux Allemands, allant de Braunfels à San-Antonio, furent massacrés par des Lipans. Les Indiens poussaient même vers Dahnis et la Leona malgré les deux camps. Quelquefois ils venaient tuer une sentinelle. Dès qu’on s’aperçoit du meurtre, on s’assemble pour courir à leur poursuite ; mais avant que les chevaux soient sellés, les provisions emballées, les pistolets chargés, on ne sait plus où sont les Indiens. Quand même la lourde cavalerie américaine pourrait les atteindre, il n’y a pas de chemin à suivre ; les Indiens se séparent pour disperser leurs traces : aussi n’est-ce qu’un hasard, une rencontre inattendue qui peut mettre aux prises les Indiens et les soldats.

Je vis plus d’une fois, dans mes courses aux environs des deux camps, des spectacles horribles. Sept Mexicains, percés de flèches, scalpés, déchirés, gisaient sur l’herbe ensanglantée ; un monceau de cendre blanche et chaude encore racontait qu’ils avaient été surpris la nuit précédente pendant leur campement. Une charrette était restée là ; mais les bestiaux avaient été enlevés, les caisses brisées, les marchandises pillées. Des vautours noirs emportaient dans leur bec des lambeaux de chair humaine. À deux lieues plus loin, une femme nue était attachée à un arbre, entièrement scalpée ; elle donnait encore des signes de vie. À ses pieds gisaient trois Mexicains scalpés et nus comme elle, mais ils étaient morts ; ils avaient reçu de nombreux coups de lance, et leur sang était déjà caillé. Sur la bouche de la malheureuse femme, on voyait des cheveux ensanglantés qui témoignaient que les Indiens avaient voulu lui faire avaler le scalp d’un de ses compagnons. Des milliers de guêpes se nourrissaient avidement sur les quatre victimes. Voulant secourir la femme, nous courûmes au galop vers le camp ; nous y fûmes au bout d’une heure. Un médecin, suivi d’une bonne escorte et d’un brancard, vint prendre la femme et la transporter pour la soigner. Quinze jours après, elle vivait encore, et on avait quelque espérance de la sauver. Cette espérance était-elle bien certaine ? Il est extrêmement rare, quoi qu’en aient dit quelques romanciers, qu’on survive à la terrible