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couchai. Levé de bonne heure pour aller préparer les malades à la réception des sacremens que je ne pouvais leur donner qu’après la messe, j’endossai mes habits, qui n’étaient pas encore secs, et dont le froid humide me donnait des frissons ; mais je ne pouvais attendre, je tombais d’inanition. Après l’accomplissement de tous mes devoirs ecclésiastiques, il me fut enfin permis de prendre quelque chose ; j’étais si faible que je n’eus ni la force ni l’envie de manger ; j’avalai une tasse de café noir, et je retournai à Donaldsonville.

Je commençais à sentir des douleurs rhumatismales qui me raidissaient tous les membres et me torturaient au moindre mouvement. Soulagé un moment par des frictions continues, je revins à la Nouvelle-Orléans. Sur la route, je vis un camp-meeting (réunion en plein champ). La congrégation s’assemble dans une plaine ou dans un bois, et elle y reste ordinairement trois jours. Elle campe, vit de provisions qu’elle a apportées, écoute les sermons des ministres, chante des psaumes et récite des prières publiques. Quelques femmes d’un certain âge s’attendrissent, pleurent et poussent des cris d’angoisse et de repentance au souvenir de leurs péchés. Quelquefois elles s’imaginent que le Saint-Esprit est descendu en elles ; alors elles deviennent, comme elles disent, heureuses (happy), et, pressées de faire partager leur bonheur à leurs frères, elles montent sur l’estrade pour prêcher à leur tour ; leurs paroles sont entrecoupées de pleurs et de cris, et l’assemblée, préparée à l’exaltation par le jeune, en reçoit de fortes impressions. On voit même de jeunes filles, parmi les méthodistes rigides qu’on appelle saints, faire de la prédication, et d’un air inspiré prononcer avec volubilité des discours passionnés jusqu’à ce qu’elles tombent dans une crise nerveuse et dans des convulsions effroyables. Parmi ces fanatiques, apôtres et pénitens du désert, il y a beaucoup de jeunes gens qui viennent à l’assemblée par curiosité et de jeunes personnes qui suivent à regret leurs parens. Au milieu des cérémonies, il se fait quelquefois entre eux des liaisons où la morale souffre un peu. La presse américaine elle-même a cherché à flétrir ces désordres et à tourner en ridicule les camp-meetings ; mais on ne persuadera pas à ces enthousiastes que leurs assemblées sont plus nuisibles aux mœurs qu’utiles à la religion.

Tous les voyageurs ont remarqué l’habitude et le goût qu’ont les Américains d’entamer un sujet religieux et d’établir une controverse quelque part qu’ils se trouvent, en particulier, en public, sur un bateau à vapeur, avec le premier venu, qu’il soit compatriote ou étranger, connu d’eux ou non connu. Ils discutent du reste de façon à n’avoir jamais l’air battu, sautant d’une question à une autre dès qu’ils sont serrés d’un peu près, et laissant leurs thèses inachevées