Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 3.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétien, on retrouve toujours les mêmes demandes et les mêmes désirs. C’est le mot d’Horace :

Det vitam, det opes.

De même, dans les consultations réclamées des oracles et des devins, il est rare que les deux objets de la pierre philosophale n’entrent pour une bonne part. Telle est la physiologie de l’âme humaine : au lieu de définir avec les naturalistes l’homme comme étant l’animal à deux pieds et à deux mains, on aurait pu le caractériser par le désir de connaître l’avenir, et surtout, dans cet avenir, la durée de la carrière qui lui est réservée parmi les vivans.

En traçant les conditions de la longévité et en assignant les limites de la vie, M. Flourens, sous plusieurs points de vue, a contribué notablement, nous le croyons, à reculer ces limites pour un grand nombre d’esprits inquiets qui trouvent dans l’hygiène de l’espérance une véritable pierre philosophale. M. Flourens débute par l’exemple célèbre de Cornaro, qui voulut mourir centenaire, et qui y parvint au moyen d’une vie exempte d’excès. La Providence, selon le savant académicien, a voulu donner à l’homme une vie séculaire. « Avec nos mœurs, nos passions, nos misères, l’homme ne meurt pas, il se tue. » Là, comme dans bien des choses, vouloir c’est pouvoir. Dans le cadre des événemens dont j’ai été témoin moi-même, je puis citer M. D… qui, consultant, il y a longues années, un célèbre médecin français, reçut cette réponse peu agréable : « Vous mourrez bientôt. — Mais n’est-il aucun moyen de conjurer cette fatalité ? — Oui, mais le moyen est au-dessus de vos forces. — Comment ? — Il vous faudrait un régime que vous n’aurez pas le courage et la volonté constante de suivre. — Je voudrai. — J’en doute. — Je voudrai, vous dis-je, répondit le long, pâle et faible malade. — À ce prix, vous vivrez. » Or M. D… vit encore après plusieurs décades d’années écoulées depuis la consultation, et le régime sévère auquel il a eu le courage de se soumettre l’a préservé.

Je n’ai pas besoin de dire que l’ouvrage de M. Flourens est non-seulement un livre scientifique dans les chapitres où il traite de la physiologie, de la psychologie, de la pathologie et de l’hygiène de la vieillesse, mais encore un livre moral, en ce qu’il met la longévité au prix du renoncement à tout excès et à toute passion désordonnée, et qu’il admet l’hygiène ou la santé de l’âme comme aussi essentielle à la longévité que celle du corps. C’est le μηδέν άγαν des sages de la Grèce, lequel est traduit littéralement par le rien de trop de notre La Fontaine. Beaucoup de personnes se sont imaginé que ce n’était qu’au prix du renoncement à toutes les jouissances de la vie que M. Flourens obtenait une sorte d’impassibilité très saine pour le