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— Eh bien ! chevalier, est-ce que vous n’êtes pas des nôtres ? Que faites-vous donc la tout seul à rêver, à contempler l’aurore aux doigts de rose, comme dit le vieil Homère ? Venez donc avec nous, si vous voulez arracher la belle Hélène des bras de son ravisseur, car nous allons détrôner la race de Priam.

— Oui, oui, s’écrièrent-ils tous ensemble dans le groupe d’où partait l’interpellation, nous allons prendre la ville de Neptune, Neptunia Troja, le siège du patriciat et de la tyrannie. Joignez-vous à nous, les dieux immortels nous ont promis la victoire !

Sans prêter une grande attention à ces plaisanteries d’écoliers émancipés, Lorenzo suivit le flot toujours grossissant des curieux, et se trouva conduit machinalement sur la grande place qui est à côté de la cathédrale. Elle était déjà remplie de nombreuses escouades de jeunes gens qui, à un signal donné, formèrent un vaste cercle autour de plusieurs individus parmi lesquels un surtout se distinguait par l’autorité de son langage. Attiré par la curiosité, Lorenzo s’approcha de la foule et pénétra dans l’intérieur du carré, où il ne fut pas peu surpris de retrouver l’individu qui l’avait abordé pendant la nuit. C’est sur lui que se portaient tous les regards, c’est lui qui paraissait être l’instigateur de ce rassemblement, dont il expliqua la cause en quelques paroles véhémentes. « Je n’ai pas besoin de vous apprendre, dit-il, pourquoi nous sommes réunis ici ; nous allons remettre au provéditeur la pétition que vous avez tous signée pour demander au sénat la réforme de la vieille constitution de Venise. Les temps sont changés ;… il faut que les lois changent et deviennent l’expression des nouveaux besoins de la société. C’est à la jeunesse, c’est à vous qu’il appartient d’organiser la vie politique conformément au nouvel idéal de justice qui s’élève dans l’humanité, car la jeunesse, vierge de toute souillure et de toute préoccupation égoïste, est la voix de Dieu sur la terre, vox Dei, l’organe du progrès et de la beauté morale, ainsi que le dit Aristote dans l’admirable pas sage de sa Rhétorique que vous connaissez tous. Les générations s’épuisent et, se nouent, comme les arbres où la sève ne circule plus, et, si la jeunesse n’existait pas, il faudrait l’inventer, ne fût-ce que pour transmettre intactes les notions du juste, fécondées par l’enthousiasme toujours renaissant de la poésie divine ; Ne vous laissez ni intimider par des menaces, ni éconduire par les promesses fallacieuses dont les pouvoirs sont si prodigues ; soyez fermes, parlez haut, et l’on vous écoutera. Vous avez pour vous le droit ;… vous aurez bientôt la force qui descend les Alpes, avec les bataillons de cette grande et généreuse nation dont le drapeau est le labarum d’une révolution qui fera le tour du monde.

« Oui, giovinetti, reprit-il d’une voix plus énergique, c’est la religion du progrès, du mouvement et de la vie que nous apportent