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à leurs proportions ordinaires et en modérant sans les interrompre les embellissemens de Paris. Un tel surcroît de travail serait sensible. Quarante-trois de nos départemens n’ont pas plus de 50 habitans par 100 hectares en moyenne, c’est-à-dire guère plus que le Portugal et une grande partie de l’Espagne ; la moindre perte d’hommes les réduit bien vite au-dessous du nécessaire. Cette question de la population, sous toutes ses formes, mérite de plus en plus l’attention des esprits sérieux. La France est un des pays du monde où la population s’accroît le moins vite ; sur quelques points, la Normandie par exemple, qui est restée stationnaire depuis vingt-cinq ans, cette lenteur coïncide avec une richesse croissante, et n’a conséquemment que de bons effets, pourvu qu’elle ne soit pas poussée trop loin ; sur beaucoup d’autres, comme les régions les moins prospères du centre et du midi, elle tire son origine d’une véritable pauvreté, qui se corrigerait d’elle-même, si elle n’était sans cesse aggravée par une foule de causes artificielles. Même au point de vue de la puissance militaire, s’il est beau d’avoir cinq cent mille hommes sous les armes, il serait encore plus beau d’en pouvoir mettre deux fois plus, ce qui ne se peut qu’à la condition de tripler la production agricole et industrielle, et, pour en venir là, il faut avant tout gaspiller le moins possible la première des forces productives, l’homme lui-même.

Après les bras, les capitaux. À beaucoup d’égards, c’est la même question sous un autre nom. Ce qu’on appelle ici capitaux n’est le plus souvent que le droit de commander le travail. J’entends dire de tous côtés qu’il faut porter les capitaux vers l’agriculture ; mais ils ne sont pas en quantité indéfinie, et, pour les porter sur un point, il faut commencer par ne pas les accumuler sur d’autres. Il paraît bien certain que la guerre aura absorbé en tout deux milliards. Cette somme énorme ne se retrouvera pas, quoi qu’on fasse ; elle aura servi à nourrir et à pourvoir de tout les soldats, les ouvriers et les marins exclusivement occupés de l’immense entreprise de Crimée. Si la même somme avait pu être consacrée à rétribuer le même nombre d’hommes travaillant aux chemins de fer par exemple, le réseau actuel de la France aurait été doublé, car ce que nous possédons aujourd’hui de chemins ouverts n’a pas coûté beaucoup plus. De même, si une portion quelconque de ce magnifique trésor avait été conservée à l’agriculture, ou, en d’autres termes, si le travail d’une partie de ces bras puissans et dociles avait été dirigé sur le sol, nous aurions aujourd’hui l’équivalent en champs défrichés et ensemencés, en céréales, bétail, instrumens et bâtimens aratoires, tandis que ces deux milliards sont représentés par les ruines de Sébastopol, le congrès de Paris et le traité du 30 mars : résultat considérable sans doute, puisqu’il a donné au monde et à nous-mêmes la mesure