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an de capital nouveau : ce n’est rien moins, pour toute la surface de la France, que 500 millions, qui, placés à dix pour cent, augmentent de 1 franc le revenu moyen de l’hectare, et par conséquent de 50 millions le revenu national.

Nous avons vu, il est vrai, dans ces derniers temps, des bénéfices prodigieux réalisés sur les valeurs de bourse, qui laissent bien loin derrière eux ceux qu’il est possible d’obtenir par la culture. Il est permis de croire que ces heureux coups de filet sont des exceptions. Quiconque possédait, en 1850, des actions de chemins de fer a doublé son capital en cinq ans ; ceux qui ont profité habilement des variations des cours pour vendre et acheter à propos ont décuplé, centuplé le leur ; mais sait-on bien à quelles conditions ces brillans accidens sont possibles ? Une grande partie sont purement et simplement des gains de jeu : non-seulement ceux qui ont gagné ont risqué de perdre, mais tout gagnant au jeu suppose un perdant ; ce qui est entré dans certaines bourses a dû nécessairement sortir de beaucoup d’autres, et quant à la plus-value extraordinaire des chemins de fer, elle tient surtout à deux causes, la baisse excessive qui avait suivi la révolution de 1848, et qui avait mis les actions au-dessous de leur véritable valeur, et le magnifique cadeau que le gouvernement a cru devoir faire aux compagnies, pour relever l’esprit d’association, en retardant d’un demi-siècle le moment où les chemins doivent appartenir au domaine national. Si ces deux circonstances, dont l’une a produit l’autre, n’étaient pas survenues, ce que nous avons vu eût été impossible. Il faut espérer qu’elles ne se reproduiront plus. Le seul surcroît de profits accordé aux actionnaires des chemins de fer, aux dépens du public, par la prolongation de jouissance, doit atteindre un milliard.

Lors des concessions primitives, les bénéfices présumés de ces entreprises avaient été calculés sur le pied de 8 pour 100. Il en sera probablement de même pour les concessions à venir. Les autres spéculations principales sorties de la puissante explosion qui a succédé à quatre ans d’inertie forcée paraissent avoir traversé leur plus belle phase. La furie française a fait sa trouée ; le temps des hausses extraordinaires doit être bien près de passer. Les capitaux pourront alors refluer vers les entreprises privées, abandonnées depuis quelque temps pour la forme collective. Ce sera moins frappant, car en toute chose l’accumulation fait plus d’effet, mais ce sera au moins aussi utile. L’esprit d’association a ses avantages, que je suis loin de contester. Je ne veux dire aucun mal de la Bourse : ce grand marché d’argent est absolument nécessaire dans un pays comme le nôtre ; il ne peut pourtant pas tout embrasser. Il n’y a rien à faire pour empêcher les capitaux de s’y porter ; il suffit de ne pas les y attirer.