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professait un goût médiocre. Bientôt le talent des vers se révéla chez lui. Il composa des odes, des satires, un poème épique et surtout des tragédies. Plus tard, il acquit quelques notions du français et de l’allemand. Décidé à combler lui-même les lacunes d’une éducation négligée, il apprit le latin vers l’âge de vingt-six ans, au point de traduire Virgile, Ovide, Horace en prose et en vers. C’était alors le temps d’Oldenbarneveld, des de Witt, de Piet Hein, de Tromp, de Ruyter, d’Hugo Grotius, de Rembrandt, de Huygens, de Hooft. Ce dernier, historien et poète lui-même, avait distingué les essais du jeune Vondel ; il le reçut à son château de Muiden, qu’ornaient les fêtes d’une littérature renaissante et les grâces souvent chantées des demoiselles Visscher. À vingt-trois ans, Joost van Vondel se maria. Il épousa Marie de Wolf, née comme lui à Cologne et fille d’un passementier. Distrait par les travaux de l’esprit, il abandonna à sa femme le soin de surveiller la boutique de bas que ses parens lui avaient laissée, mais il ne quitta point sa maison de commerce.

C’est ici un trait de mœurs hollandaises qu’il ne faut point négliger : un poète bonnetier, vivant à Amsterdam dans le silence de son arrière-boutique, et faisant descendre sur la scène tantôt les divinités de l’Olympe, tantôt les anges du paradis chrétien. Les contemporains nous ont conservé le portrait de Vondel. C’était un homme d’une taille moyenne ; sa barbe, noire et courte comme ses cheveux, avait blanchi de bonne heure ; son visage, pâle et maigre durant la première moitié de sa vie, s’arrondit, se colora, et devint le type d’une bonne figure hollandaise au XVIIe siècle. Jusque-là tout allait bien ; mais les événemens ne tardèrent pas à se précipiter sur ce caractère ferme et robuste, que les Néerlandais ont souvent comparé au chêne. La femme de Vondel mourut. Son fils vint demeurer avec lui et continuer le commerce des bas. Il s’en acquitta mal et ruina sourdement le poète, qui, tout entier au commerce des lettres, ne s’aperçut même pas de la tournure que prenaient ses affaires. Ce fils était décidément un mauvais sujet. Voyant arriver l’orage des échéances, ne sachant plus cette fois comment adoucir les créanciers, il partit pour Batavia et mourut dans le voyage. Le pauvre Vondel paya 40,000 florins de dettes et se trouva dépouillé, ruiné, dans ses vieux jours. La ville d’Amsterdam vint à son secours : elle lui offrit un petit emploi au mont-de-piété, avec 650 florins de traitement ; puis, comme le poète n’avait pas toujours la tête présente à son travail de bureau, on lui laissa le salaire sans la place. Cet homme avait passé par toute sorte de tribulations et de combats intérieurs. Élevé dans la communauté des frères moraves, il s’était rapproché plus tard des remontrans. Bientôt ses meilleurs amis, ses compagnons d’études furent proscrits, emprisonnés, décapités ; il vengea leurs infortunes