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d’autant plus terrible qu’elle éclatait comme la foudre dans un jour d’été. M. Rouvière a choisi une route plus hardie. Il a brisé le masque immobile dessiné par un historien trop crédule, et copié par un poète trop docile. Le nouveau Néron tantôt rêve comme Hamlet, tantôt s’agite comme Othello. L’auditoire, je dois le dire, a traité M. Rouvière avec autant de rigueur que M. Lafontaine. Le nouveau Néron n’a pas été mieux accueilli que le nouveau don Rodrigue. L’intelligence publique n’est pas encore assez avancée pour comprendre et pour accepter de telles révélations.


GUSTAVE PLANCHE.


DODICI NOVELLE di Giulio Carcano[1]. — M. Carcano est l’auteur de quelques romans distingués dont la Revue a déjà eu à s’occuper[2]. Dans le recueil de récits qu’il vient de publier sous ce titre : Dodici Novelle (douze nouvelles), on le retrouve avec les qualités et les défauts qui ont déjà été signalés. M. Carcano, comme la plupart des écrivains italiens de nos jours, ignore trop cet art de la composition que possèdent si bien la plupart de nos romanciers et de nos conteurs, même ceux à qui toutes les autres qualités manquent le plus. D’ordinaire ses nouvelles présentent une suite de tableaux détachés et non une suite d’événemens qui préparent et amènent le dénoûment désiré ou redouté du lecteur. Et cependant presque toutes ont un charme réel. C’est qu’en dépit des négligences de la composition, chacune des scènes qui passent devant nos yeux est vivante et vraie. Les convictions profondes qui animent le romancier se montrent à chaque page et donnent la couleur et la vie à tout ce qu’il écrit. La passion lui rend un autre service qu’elle rend à ceux qu’elle possède quand elle est véritable : elle l’empêche de rechercher les petites habiletés de détail ; elle le préserve du faux et du maniéré, et lui donne ce que j’appellerais volontiers un style d’honnête homme.

M. Carcano aime d’abord et avant tout sa patrie, cette Lombardie si belle, si riche et si malheureuse. La peinture des merveilleuses campagnes qui entourent Milan revient à chaque instant dans tous ses ouvrages, et toujours il trouve de nouvelles collines mollement ondulées à nous décrire, de nouveaux horizons resplendissans de soleil à nous faire admirer. Il est si heureux, si fier de la beauté royale de ce pays dont il nous fait les honneurs, que nous l’écoutons toujours avec plaisir, presque avec envie, sans songer qu’il se répète. Il est si bien italien que toute importation d’une mode, d’une habitude, d’un goût emprunté à d’autres peuples lui est odieuse. Sans cesse il poursuit de ses railleries ceux de ses compatriotes qui prennent un mot ou la coupe d’un vêtement à la France ou à l’Angleterre. Parfois son dépit l’inspire heureusement ; mais il pousse un peu trop loin la haine de l’introduction des modes étrangères. Le personnage ridicule ou odieux de chacune de ses nouvelles porte toujours des cravates faites à Paris ou des habits baptisés d’un nom anglais. Les traîtres de ses contes s’habillent à la française aussi invariablement que ceux de nos anciens mélodrames s’enveloppaient d’un grand manteau couleur de muraille. La plupart de ces portraits sont écrits avec uns verve de dépit spirituelle ; mais cette obstination à faire de

  1. Florence, Félix Lemonnier, 1853.
  2. Voyez l’étude sur le Roman et les Romanciers en Italie, livraison du 15 novembre 1854.