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un pacha meilleur capitaine que ceux dont il avait fait des esclaves, par conséquent une bataille perdue, la nécessité de se soumettre, un pardon perfide accepté, une tasse de café bue sans défiance, puis un spasme, une convulsion, la mort : c’était là une série d’éventualités que le déré-bey ne faisait pas entrer dans ses rêves d’avenir, et qui vinrent brusquement réduire en poussière l’édifice brillant de sa fortune. Du pauvre déré-bey, naguère si puissant, il ne resta rien, pas même un tombeau, car son cadavre devint la proie des poissons du Bosphore.

Mustapha mort, on eut aisément raison de sa famille. Tous ses biens furent confisqués, comme ayant été acquis par la violence ; ses enfans et ses femmes furent condamnés à l’esclavage. Puis, quand la colère du monarque fut apaisée, quand les amis du bey eurent intercédé en faveur des veuves et des orphelins, quand il fut bien avéré que personne parmi les parens de Mustapha ne pouvait donner ombrage au souverain, on brisa les chaînes des femmes et des enfans, et on leur rendit une partie des biens qui avaient appartenu aux ancêtres du rebelle. Une année vit se succéder tous ces événemens, — la chute de Mustapha, la confiscation de ses biens et la condamnation de ses parens, puis leur mise en liberté et la restitution des biens héréditaires faite à la famille du bey, qui put reprendre alors le chemin de ses anciens domaines et se reconstituer sous la direction du frère aîné de Mustapha, lsmaïl-Bey.

Mustapha avait trois frères, Ismaïl, Hassan et Halil. Ismaïl, devenu chef de la famille, devait épouser, selon la loi et la coutume musulmane, une des femmes laissées veuves par son frère. S’il eût été plus riche, il les eût gardées toutes ; mais Ismaïl n’était qu’un petit gentilhomme campagnard, d’humeur assez pacifique, et il ne pouvait prétendre à mener le même train de vie que l’aventureux Mustapha. Il eut donc à choisir entre Fatma et Maleka. La famille de Fatma était des plus considérables et des plus riches de la province ; mais l’âge peu avancé des parens de la belle veuve faisait craindre au bey qu’il ne fallût attendre longtemps le moment où celle-ci deviendrait héritière. Maleka n’avait pas d’aussi belles espérances : une terre limitrophe à celle qui était échue à Ismaïl lui appartenait cependant en toute propriété ; elle avait en outre d’assez beaux bijoux, et on parlait d’un certain sac, rempli de pièces d’or, qu’elle avait porté constamment cousu à sa chemise depuis la mort de Mustapha. Après d’assez longues hésitations, Ismaïl donna la pomme à Maleka. Il ne fut pas question entre les époux du sac mystérieux, mais quelques-uns des plus beaux bijoux de Maleka passèrent dans les mains d’Ismaïl, et une donation en règle, faite et signée en même temps que le contrat de mariage, rendit le bey propriétaire de la