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lui dicterait sa propre conduite. L’ami dut se retirer sans avoir pu pénétrer les véritables intentions de Fatma, mais en définitive assez satisfait.

La réponse d’Anifé ne se fit pas attendre, et cette réponse était de nature à combler tous les vœux d’Ismaïl. Anifé l’acceptait pour époux, et ne mettait qu’une condition à son consentement : c’était que Maleka ne rentrerait jamais sous le toit conjugal ; bien plus, une séparation formelle et judiciaire était impérieusement exigée. Ismaïl n’eut garde de faire d’objections : il se souvint que Maleka lui avait souvent déclaré sa résolution de ne pas se soumettre au partage que subissent d’ordinaire les personnes de son sexe en Turquie. — Puisque ni l’une ni l’autre ne veut souffrir de rivale, se dit-il, il n’est point à craindre qu’elles se rencontrent, ni que celle-ci vienne me troubler, lorsque je serai avec celle-là. — Quant à la séparation judiciaire, il promit de l’accomplir aussitôt que certains papiers indispensables seraient arrivés de Constantinople ; mais il était décidé à renvoyer indéfiniment la cérémonie, car il lui en eût trop coûté de renoncer à tout droit sur les biens de Maleka.

Pendant les trois ou quatre semaines qui s’écoulèrent entre l’acceptation d’Ismaïl par la petite Anifé et la célébration de leur mariage, les fiancés se virent plusieurs fois, contrairement aux coutumes musulmanes. Ismaïl était l’oncle aussi bien que le futur d’Anifé, et l’oncle ne pouvait pas être exclu de la société de sa nièce. Les entrevues d’Ismaïl et d’Anifé furent employées par celle-ci à établir son pouvoir sur l’esprit du bey. Elle n’oublia aucun des conseils maternels, et elle réussit à se poser dans la pensée de son futur époux comme une jeune fille d’un esprit indépendant et quelque peu singulier, mais entièrement dominée par l’admiration qu’il lui inspirait. Anifé joua ce personnage dans la perfection. Elle était capable de passer des heures entières dans la muette contemplation de son futur, pendant que celui-ci se donnait l’air de ne pas apercevoir ces témoignages d’adoration. Puis, s’il se retournait subitement, et si, rencontrant au passage le regard fixe et éloquent d’Anifé, il s’écriait d’un air passablement fat : — Eh bien ! qu’y a-t-il, ma petite Anifé ? pourquoi me regardes-tu ainsi ? — alors Anifé simulait un embarras charmant ; elle baissait les yeux, rougissait comme une cerise, et quelques larmes coulaient le long de ses joues. Fatma admirait le savoir-faire de sa fille, et elle s’amusait de ses tours sans savoir qu’à son âge rien n’est beau que l’innocence ; mais l’innocence dans un harem, qui songe à l’y chercher ?

Les noces eurent lieu avec tout l’éclat convenable, et il ne fut bruit dans toute la province que des fêtes données à cette occasion. Le contrat fut signé par tous les notables de la ville de Saframbolo ; mais ce contrat ne satisfit Ismaïl qu’en partie. Les richesses de la