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a des personnes qui meurent toujours au moment où elles sont nécessaires. Pourquoi sa sœur s’est-elle avisée de mourir à contre-temps ? Si elle avait bien voulu vivre encore un an ou deux, la petite fille aurait été assez grande pour travailler et pour gagner soin pain et son beurre. Dolly sait le prix de l’argent, il lui a coûté dur à gagner. Quand la petite Rose fut devenue grande, la tante Dolly alla la réclamer à l’asile des orphelins. Sa beauté lui déplut tout d’abord, ainsi que sa douceur. — Juste comme sa mère, elle ne sera bonne à rien. — Installée avec cette affabilité dans la maison de sa tante, Rose y remplit de son mieux les fonctions de domestique, et ne recueille pour sa peine que des injures et des coups. Elle ne gagne pas ce qu’elle mange, elle est trop souvent malade ; elle manifeste le désir d’aller à l’école : c’est tout le portrait de sa mère. Quand les voisins l’admirent en passant et complimentent Rose sur sa beauté, Dolly fait passer Rose sur le derrière de la maison, et la tient confinée jusqu’à ce que le souvenir de cette admiration ait eu le temps de s’effacer. Le ministre de la paroisse, M. Clifton, qui a été frappé de sa beauté et de sa bonne tenue à l’église, vient la réclamer pour son école gratuite, et l’invite à venir jouer avec ses enfans ; mais tante Dolly n’a garde de lâcher sa proie. Si elle allait à l’école, qui paierait son pain et son beurre ? Elle deviendrait fière et se mettrait dans la tête toute sorte d’idées et de prétentions ; d’ailleurs elle gagnerait tous les cœurs par son affabilité, et c’est ce que la bonne tante ne peut souffrir à aucun prix. Entourée de tant de tendresse la jeune fille devient la proie du premier séducteur qui se présente, et alors la tante Dolly, devenue enfin la riche Mme Howe, ayant pour la première fois un motif sérieux de plainte, n’a garde de laisser échapper une si belle occasion : de mal faire.. Elle relègue Rose et son enfant au grenier, les sépare du reste de sa famille comme des membres gangrenés, tire hermétiquement les rideaux pour empêcher les regards curieux des voisins de pénétrer le mystère. Malheureusement, ce caractère de la tante Dolly, qui pendant la première partie du roman est très bien dessiné et d’après nature, devient, dans la seconde : partie une caricature ridicule et monstrueuse. Sa méchanceté et sa tyrannie, qui proviennent simplement, de sa grossièreté naturelle, son avarice et son égoïsme, qui sont les vices des mercenaires ne s’accordent pas avec les prétentions que lui prête l’auteur.

Mistress Markham, la directrice de l’asile des orphelins, où Rose, a été élevée, mérite aussi une mention honorable. Il n’y a pas de mère plus tendre, de personne aussi sensible que mistress Markham, lorsqu’elle se trouve en présence du comité de direction, ou qu’elle prend congé des enfans qu’ont vient réclamer. En public, elle a toujours le mouchoir à la main ; dans l’exercice de ses fonctions, c’est un