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qu’on nomme le réseau des chemins de fer pyrénéens, c’est-à-dire d’un ensemble de lignes qui vont de Toulouse à Bayonne, d’Agen à Tarbes, en reliant divers points latéraux. Les contrées pyrénéennes en étaient encore à attendre ces grandes voies de communication qui enlacent aujourd’hui presque toutes les parties de la France ; aussi n’est-il point douteux que le réseau des chemins de fer méridionaux ne soit accepté et voté par le corps législatif. Enfin l’organisation nouvelle imposée aux sociétés industrielles par le projet récemment présenté est aussi une de ces questions qui ont le privilège de saisir les esprits, moins par ce qu’elles ont de spécial et de technique que par les rapports qu’elles ont avec toutes les conditions de la vie morale contemporaine. Pourquoi a-t-on attaché quelque intérêt à cette loi sur les sociétés en commandite ? Parce qu’on a senti qu’elle touchait à une plaie vive, à cette ardeur du jeu qui semble envahir tous les rangs, à cette fureur malsaine de spéculation qui touche à tout pour tout corrompre. Cet esprit d’industrie équivoque règne depuis longtemps. On dirait aujourd’hui qu’une répulsion universelle commence à s’élever contre lui, et c’est encore une vertu dans une société que de ressentir cette lassitude, d’aspirer à de plus pures et de plus saines satisfactions.

Le monde contemporain, à mesure qu’il marche, laisse apparaître certaines lois qui dominent et règlent le mouvement immense de notre siècle. Ces lois se perdent souvent, pour ainsi dire, dans le détail des choses ; elles disparaissent par momens dans la confusion ou la petitesse des faits. L’esprit les ressaisit de temps à autre, et les voit inscrites en traits lumineux dans les événemens qui prennent une sorte d’unité mystérieuse. Cette unité est moins un fait matériel qu’un fait moral ; elle naît moins de cette merveilleuse facilité de communications et de relations d’intérêt multipliées chaque jour entre les peuples que de la secrète identité des problèmes qui s’agitent à la fois dans la conscience de tous les hommes. Partout, sous des formes diverses, le travail est le même ; les efforts, les luttes, les obstacles, les dangers ont une similitude singulière. Il n’est point d’événement peut-être qui ait plus contribué que la révolution française à développer cette unité, cette solidarité politique et morale des peuples. Il est aisé de se créer ou d’accepter des idées générales et vagues sur cette formidable crise qui a éclaté à la fin du siècle passé et qui dure encore ; les idées générales et les théories courent le monde. Il est plus difficile de scruter un tel événement dans ses causes, dans sa réalité, dans ce qu’il a eu de particulièrement français avant de devenir un fait universel par son retentissement et par son influence. M. de Tocqueville, dans un livre récent et éminent qu’il appelle l’Ancien régime et la Révolution, va droit à ce grand sujet. Il n’a écrit ni une histoire, ni une philosophie nouvelle de la révolution ; avec ce procédé pénétrant et condensateur de l’esprit qui a su si fortement ressaisir les lois et le caractère de la démocratie américaine, il analyse en quelque sorte tous les élémens de l’ancienne vie de la France, tirant de la poussière les choses oubliées, observant les conditions diverses des hommes et des classes, montrant le jeu secret et la débilitation graduelle des institutions, et il a écrit un livre aussi neuf que substantiel sur un des événemens qui ont le plus occupé les intelligences. Le tableau que trace M. de Tocqueville est saisissant.