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celle que ressent le voyageur qui parcourt le désert, lorsque, fatigué et haletant, il voit poindre devant lui les contours d’une oasis.

À ce titre, le comte Mollien mérite d’occuper dans les champs-élysées de l’histoire une place particulièrement distinguée. C’est une figure qui attire les regards et captive les suffrages par sa bienveillance, sa droiture, sa dignité sereine. Il a dû au parfait équilibre de ses rares facultés l’heureuse fortune d’avoir été associé, dans un rang élevé, aux grands événemens de l’épopée impériale, sans s’être fait des ennemis qui du moins osassent s’avouer pour tels, car quel est l’homme contre qui ses succès ne soulèvent pas l’envie au fond des cœurs ?


I. – L’ANCIEN REGIME.

M. Mollien est un de ces heureux emprunts que fit à l’administration d’autrefois le grand homme suscité par la Providence, à la fin du dernier siècle, pour sauver du naufrage la révolution française, resserrer les liens de la société qui s’en allait en dissolution, et reconstituer la monarchie en ramassant de sa glorieuse épée la couronne tombée dans le ruisseau. Quoiqu’il ait survécu de trente années à l’empereur, il était notablement plus âgé, étant ne en 1758. Entré fort jeune dans les bureaux des finances, il avait déjà pu acquérir une grande expérience quand l’orage éclata et le repoussa de la carrière, et on verra dans le cours de cette étude à quel point il la fit tourner au profit de son pays. La nature libérale l’avait pourvu de belles facultés. Il eut de plus, pour lever les obstacles que chacun est destiné à rencontrer sur le chemin de la vie, un point d’appui solide, celui d’une bonne éducation et d’excellens principes. Il appartenait à cette bourgeoisie qui, par l’étude et par l’application aux affaires, s’était fait une forte position dans la société, en attendant qu’elle en prît une dans l’état, et qui aussi, à la faveur de l’aisance qu’elle avait péniblement conquise, avait pu s’approprier non-seulement une instruction étendue, mais même cette urbanité que la noblesse française avait cultivée dans l’atmosphère de la cour, et rendue si séduisante. Il eut le bonheur d’avoir pour père un homme d’un grand sens et véritablement éclairé, qui mit beaucoup de soin à bien faire élever un fils dont les dispositions lui inspiraient de brillantes espérances, et dont les sentimens justifiaient si bien la sollicitude paternelle. Envoyé à Paris dans un collège de l’Université, le jeune Mollien y obtint ces couronnes que Villars se rappelait avec émotion, même lorsqu’il avait la tête parée des lauriers de Denain. Ces triomphes de la jeunesse étaient encore plus utiles alors qu’aujourd’hui, où le système des examens spéciaux