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les hommes qu’il avait investis de sa confiance. M. de Calonne fut remplacé par un prélat ambitieux, intrigant, corrompu, de l’avidité la plus insatiable, qui ne rachetait par aucun talent tant de défauts et de vices, Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse. Ce choix funeste fut dû à l’influence de la reine, qui, de même que son époux, était remplie des meilleures intentions, et qui, de plus que lui, avait de la dignité personnelle, mais qui, autant que lui, manquait de jugement, et n’était pas moins étrangère à la connaissance des hommes et à l’art difficile de gouverner.

En sacrifiant Calonne, le roi s’était flatté de faire passer les projets présentés par ce ministre. Le contraire devait arriver et arriva en effet. Trois semaines après la nomination de Brienne au poste de président du conseil des finances, le 25 mai 1787, les notables se séparèrent sans avoir sanctionné ce qu’on leur avait soumis. De ce moment, la révolution était commencée de fait, car le roi, éperdu et humilié des concessions qu’il avait en vain faites aux notables, avait perdu toute autorité, même à ses propres yeux. Les privilégiés, infatués de la victoire qu’ils venaient de remporter sur la royauté, n’entendaient se prêter à aucun des sacrifices que réclamaient les principes de la justice et le salut du pays. Chez le tiers-état, les esprits droits et élevés étaient mécontens, les âmes ardentes étaient en proie à une violente irritation, et dès-lors commença à fermenter dans les têtes la pensée exprimée par Siéyès deux ans plus tard, que « le tiers-état, qui n’était rien, devait être tout. » De toutes parts, la passion entraînait les esprits dans son tourbillon.

M. Mollien avait eu quelques rapports de service avec M. de Calonne. Celui-ci voulut se faire expliquer le système de l’amortissement, qui, à cette époque, s’organisait en Angleterre et occupait les financiers de tous les pays. Ce n’est pas que l’idée d’éteindre successivement la dette publique fût une nouveauté : déjà le projet d’une institution chargée de l’amortir au moyen de l’affectation de ressources spéciales avait été conçu par le gouvernement français, alors que M. de Machault était contrôleur-général, mais le docteur Price avait donné à cette pensée une grande popularité par la formule ingénieuse dont il l’avait revêtue. La conception de Price consistait à combiner la puissance de l’intérêt composé avec celle d’une dotation fixe. À cet effet, on devait ajouter indéfiniment au fonds d’amortissement le revenu afférent aux rentes rachetées, et l’institution gagnait ainsi une puissance toujours croissante sans que le développement de ses ressources surchargeât les contribuables. Le pouvoir de l’intérêt composé est très grand, on le sait, lorsqu’on dispose d’une longue suite d’années. Il s’ensuit qu’un fonds d’amortissement est bientôt doublé, puis quadruplé, octuplé et ainsi de suite, de sorte