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Rome. Il conquérait tous les suffrages par l’accueil qu’il faisait aux savans dont s’honorait l’Italie, par les conditions, jusqu’alors inconnues, qu’il insérait dans les traités, afin d’enrichir les musées de la France des plus beaux tableaux des grands maîtres et des statues les plus renommées que l’empire romain et la Grèce avaient léguées à l’Italie, ou encore par des actes tels que la fête qu’il avait trouvé le temps de faire célébrer par les soldats français en l’honneur de Virgile dans les plaines de Mantoue, où ce grand poète avait vu le jour. Quand M. Mollien le vit partir pour l’Égypte, il lui sembla que c’était le génie tutélaire de la patrie qui s’éloignait. À cette époque cependant, il n’avait eu aucune relation personnelle avec le général Bonaparte ; mais il voyait fréquemment deux savans illustres qui devaient l’accompagner sur les rives du Nil, Monge et Berthollet, et ses rapports avec eux étaient assez intimes pour qu’il pût se permettre de leur témoigner ses craintes, sur cette entreprise avec autant de bonne foi qu’ils en mettaient eux-mêmes à se féli citer de l’occasion qu’ils allaient avoir d’explorer, comme personne ne l’avait fait encore, non-seulement l’Égypte moderne des musulmans, mais, encore et surtout l’Égypte des pharaons. En recevant leurs adieux, il leur adressa ces paroles qu’ils lui rappelaient plus tard : « Celui qui vous conduit n’a fait encore ici que commencer son œuvre. Son absence va redevenir un temps d’épreuves. Je suis résolu de passer hors de France une grande partie de ce temps. Pendant que vous visiterez en Égypte les monumens des temps anciens, je tacherai d’observer dans les pays que je parcourrai ceux des temps nouveaux qui peuvent être plus à notre usage, et quand nous nous reverrons, de meilleures chances pour la France seront revenues, je l’espère avec vous[1]. »

Il se détermina en effet, fidèle à sa pensée de poursuivre jusqu’au bout ses études financières, à aller parcourir en observateur la Grande-Bretagne, qui est le pays dont tous les autres, bon gré mal gré, se font les imitateurs en finances, parce que c’est celui où ces sortes d’affaires sont traitées avec le plus de raison pratique et de la manière la plus conforme à l’intérêt collectif de la société ; mais la France était vis-à-vis de l’Angleterre à l’état de guerre acharnée, et M. Mollien, dans son désir de visiter la Grande-Bretagne, tenait cependant à éviter qu’en son absence on le dénonçât comme émigré. Il lui était impossible d’avoir des passeports : il n’avait aucun prétexte pour en demander, aucun ami parmi les agens du gouvernement pour en obtenir, et il jugeait prudent de ne mettre personne dans sa confidence. Il sortit d’embarras par l’expédient

  1. Mémoires d’un Ministre du trésor public, t. Ier, p. 184.