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même en présence de l’état. Le code qui porte son nom, et à la rédaction duquel il a pris une part active, garde l’empreinte des plus saines doctrines sur la propriété. C’est Napoléon qui, dans la longue et laborieuse discussion sur la loi des mines, promulguée en avril 1810, a prononcé ces belles paroles, qu’avec toutes ses armées il ne lui serait pas possible de s’emparer du champ du dernier des Français ; mais l’idée de la propriété n’avait pas dans son esprit toute la largeur qu’elle a justement acquise dans une civilisation avancée. La propriété, qui avait ses hommages, n’embrassait pas tous les genres de biens que l’homme obtient par son travail. Il avait à cet égard les opinions qui avaient eu cours dans la Rome antique plutôt que celles qui conviennent à notre temps.

Napoléon s’était beaucoup nourri de lectures sur la civilisation romaine ; il l’admirait passionnément. C’était celle dont il citait de préférence les exemples, celle dont il reproduisait sans cesse les dénominations dans ses créations politiques et administratives. Cette admiration exclusive pour Rome a été l’origine de plusieurs fautes qu’il a commises dans sa politique générale. Au sujet de la propriété, elle l’a en maintes circonstances induit en erreur. Chez les auteurs romains, comme au surplus chez tous ceux de l’antiquité, chez ceux-là même qui planent le plus au-dessus de leurs contemporains, et que la postérité entoure des plus grands hommages, on rencontre au sujet de la propriété des notions incorrectes par rapport à celles que le genre humain possède enfin, mais qu’il ne s’est formées que successivement par l’élaboration lente de formules primitivement imparfaites. Par une de ces contradictions auxquelles la faiblesse humaine est tant exposée, la civilisation romaine, dans la personne de ses représentans même les plus illustres, exagérait le sentiment de la propriété d’un côté, et le limitait trop d’une autre part. Ainsi les Romains trouvaient tout naturel qu’il y eût des esclaves, c’est-à-dire que l’homme fît sa propriété de son semblable, et en même temps ils professaient une opinion qui mettait la propriété mobilière, celle des capitaux proprement dits, bien en contre bas de la propriété territoriale. Ils flétrissaient l’exploitation de l’une et honoraient celle de l’autre. Cicéron, qui est certainement une des plus belles intelligences de l’antiquité, Cicéron, dont la pensée s’était approprié à l’avance plusieurs des idées dont s’enorgueillit le plus la société moderne, sur la fraternité des nations par exemple, Cicéron, par qui juraient tant de personnes pendant les siècles qui ont précédé le nôtre, et qui restera toujours comme une imposante autorité dans le monde intellectuels Cicéron sur ce sujet des sentences désespérantes. À ses yeux, l’homme qui possède de la richesse mobilière et qui la fait valoir par l’industrie, et plus