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moyen habituel est la fraude et le mensonge, dont le but est un gain plus immoral encore que celui qu’on cherche dans les jeux de hasard, et qui, pour le plus médiocre profit de ce genre, vendrait le secret et l’honneur du gouvernement lui-même, si elle pouvait en disposer… »

Le premier consul demanda ensuite à son interlocuteur comment se passaient les choses à la bourse de Londres ou à celle d’Amsterdam. M. Mollien, en répondant à cette question, jugea à propos de lui présenter quelques observations qui fussent propres à le prémunir contre l’imitation des écarts des gouvernemens révolutionnaires que remplaçait le consulat. Après lui avoir fait remarquer combien les variations de la rente française étaient fortes en comparaison de celles des fonds anglais ou hollandais, M. Mollien ajouta : « Cette mobilité dans le cours de nos fonds publics est sans doute un puissant attrait pour l’essaim de petits spéculateurs dont le savoir faire se borne à parier sur les différences ; mais ce n’est pas leur influence qui détermine le perpétuel mouvement d’oscillations dans lequel ils trouvent des profits ou des pertes. Les gouvernemens antérieurs au vôtre, général, par les tristes souvenirs qu’ont laissés leurs expédiens en finances, sont les auteurs de ces fluctuations où les joueurs poursuivent les gains dont ils sont avides. Je ne citerai pas toutes les fautes, je ne remonterai pas aux plus anciennes, à celles d’avant 1789 ; mais pour me renfermer dans le cercle de ces dernières années, les expropriations, la violation de la foi des contrats, la banqueroute des assignats, le faux monnayage consistant dans l’émission d’une multitude de valeurs toutes destinées à subir le même sort, les atermoiemens indéfinis vis-à-vis des créanciers de l’état, le gaspillage d’une masse d’immeubles qui excédait toutes les dettes de l’état et dont l’état s’est dessaisi pour rester plus endetté qu’auparavant ; la propriété partout incertaine, soit sur les sacrifices qu’on lui demandait par l’impôt, soit sur la mesure et l’époque du remboursement des avances qu’on exigeait d’elle sous la forme de réquisitions ; l’instabilité dans les plans de finances et dans les modes de paiemens introduisant une instabilité semblable dans tous les marchés, dans le prix de toutes choses, — c’est à tous ces désordres, ce me semble, et non pas aux manœuvres de quelques spéculateurs, presque tous sans ressources, qu’il faut attribuer les symptômes d’inquiétude et de défiance qui leur survivent encore, et à la manifestation desquels la liberté d’un marché public tel que la Bourse est peut-être assez favorable. Mais si l’opinion s’y dévoile plus qu’ail leurs, elle y indique peut-être mieux aussi qu’ailleurs les moyens de la satisfaire. »

Après d’autres demandes suivies de réponses, M. Mollien propose