Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au premier consul un projet d’organisation des agens de change. Il ne pouvait être question de rétablit ces fonctions en charges, comme avant 1789 ; mais au lieu d’exiger de ceux qui seraient conservés une finance au profit de l’état, on pouvait leur demander un cautionnement pour la sûreté du public. Que si ce cautionnement était passablement élevé, il était douteux que parmi les agens de change actuels il s’en trouvât plus de soixante qui pussent acquitter, soit par leurs moyens personnels, soit par leur crédit, et ce nombre de soixante semblait bien suffisant, car ; dit-il, il n’y avait que cinquante agens de change près la Bourse de Paris en 1789, alors que le volume de la dette publique de France était des deux tiers plus considérable, et qu’il s’y joignait une assez forte masse d’autres valeurs négociables.

Un officier de la garde consulaire, arrivant de Russie avec des de pêches que le premier consul saisit avec empressement, interrompit la conversation, qui avait duré deux heures.

Je me suis étendu sur cette conversation entre M. Mollien et le premier consul, parce qu’elle est intéressante à plus d’un titre. Le premier consul s’y montré avec la promptitude de ses opinions et l’impétuosité qu’il apportait à les exprimer, mais aussi avec une remarquable condescendance à revenir d’un premier jugement quand on lui avait prouvé qu’il se trompait. La contradiction publique lui déplaisait et même l’offensait. Dans l’intérieur d’un conseil, il y avait des circonstances où il l’admettait au contraire assez librement, il lui arrivait même de la provoquer. Dans le tête-à-tête, il la recherchait, et il ne croyait aucunement manquer à sa dignité en y cédant.

On remarquera aussi la grandeur imposante, mais hyperbolique, des formules dont il se servait quand il voulait dépeindre l’autorité, et les proportions démesurées qu’il lui assignait. Il attribuait au gouvernement, au milieu de la société, non-seulement le même rôle qu’a le soleil dans la création, mais encore quelque chose de plus, car dans le système du monde la force de la gravitation est réciproque : elle agit des planètes sur le soleil comme du soleil sur les planètes. Bien plus, M. Mollien aurait été fondé à lui représenter que, lorsqu’il parlait de l’harmonie générale de l’Univers, et qu’il s’en appuyait pour l’organisation qu’il aurait entendu donner à la société, ce qu’il appelait le caprice des individus, c’est-à-dire leur libre initiative avait, dans le système du monde même, son similaire dans l’impulsion première qui est propre à chacune des planètes, et qui, parfaitement indépendante de l’action du soleil sur elles, contribue à déterminer la forme de leur orbite et la vitesse avec laquelle elles la parcourent, tout autant que l’attraction puissante exercée par la masse énorme du soleil.

Dans ce même entretien, on peut signaler encore une autre pensée