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qu’il la croyait sincère, et, ne perdant pas de vue son principal but, qui était de savoir si Anifé donnerait suite aux démarches projetées contre sa rivale : — Avez-vous découvert quelque chose que j’ignore ? dit-il de sa voix la plus tendre. Avez-vous acquis quelque preuve de l’existence de votre enfant et des rapports formés entre la Grecque et Maleka ?

— Que puis-je avoir appris en si peu de temps ? répondit Anifé en fixant sur Selim des regards empreints d’une si froide assurance, que l’effendi fut forcé de baisser les yeux. Si j’avais des données positives sur l’existence de mon enfant, me verriez-vous si tranquille ?… — Selim réitéra ses questions, ou du moins ses tentatives, pour arracher à la jeune femme quelque aveu sur ses intentions à l’égard de Maleka : il ne put obtenir que des paroles vagues, et dut se retirer sans avoir pu se former une opinion bien nette sur les projets d’Anifé. Il avait cru remarquer néanmoins qu’elle commençait à se lasser de cette vie d’attente douloureuse qu’elle menait depuis quelque temps. Le moment n’était-il pas favorable pour s’emparer de son esprit, et Maleka elle-même ne l’engagerait-elle pas, connaissant cette disposition d’Anifé, à rester auprès de la fille du kadi ? Cette question, à laquelle Selim faisait lui-même la réponse, finit par occuper agréablement son esprit, et après avoir quitté la jeune femme, son front, un moment assombri, était redevenu si radieux, qu’un de ses amis, le rencontrant dans la rue par hasard, lui demanda s’il avait été nommé banquier du gouvernement.

Quelques instans aussi après cet entretien, la joie avait reparu sur le visage d’Anifé ; mais la cause de cette joie ou plutôt de cette émotion profonde, est-il besoin de la dire ? — Son enfant lui était rendu. Les éclats joyeux de la voix d’Osman, les cris de l’enfant, les remerciemens et les exclamations de la mère, tout cela se croisait bruyamment dans la même chambre où Selim et Anifé venaient d’échanger du bout des lèvres des reparties laborieusement calculées. Le vieux kadi et Fatma étaient accourus auprès de leur fille ; on couvrait l’enfant de caresses, on accablait Osman de questions. Le jeune homme ne demandait pas mieux que de raconter son heureuse expédition dans les plus grands détails. Il avait passé, disait-il, dans la maison de la nourrice plusieurs jours qu’aucun incident n’avait troublés, lorsque la veille à l’entrée de la nuit, des visiteurs mystérieux s’étaient présentés. C’était la femme chargée ordinairement des messages de la Grecque, accompagnée d’un misérable taillé en hercule et à la figure basanée. Osman et ses deux compagnons avaient écouté du fond de leur cachette le dialogue qui s’était établi entre leur hôtesse et ces personnages suspects. Ceux-ci venaient dire à la nourrice que le moment était venu de se débarrasser de l’en-