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fant ; ils étaient chargés de s’entendre avec elle sur la récompense qui lui serait allouée, et de lui remettre une fiole contenant une potion qui devait plonger le fils d’Anifé dans l’éternel sommeil. La nourrice avait interrogé la messagère sur la condition de ceux qui l’envoyaient. Celle-ci avait répondu qu’elle venait de la part d’une personne puissante, très liée avec un pacha de Constantinople, puis elle avait enjoint à la nourrice de prendre un parti sans retard ; mais alors Osman avait jugé à propos d’interrompre l’entretien, il s’était précipité dans la chambre avec son janissaire et son Rouméliote. Le reste se devine. Les deux misérables avaient été arrêtés sans trop de peine, et le kadi aurait à statuer sur leur sort, car Osman les avait amenés avec lui, ainsi que l’honnête nourrice, qui fut comblée de remerciemens, et dont Anifé promit de faire la fortune.

Le retour du fils d’Anifé fut dans la maison du kadi le signal d’une fête domestique qui se prolongea pendant plusieurs jours. Enfermée avec sa mère et son enfant dans la partie la plus reculée du harem, Anifé refusait sa porte à toutes les visites. Quoiqu’elle répétât sans cesse qu’elle ne craignait plus rien depuis que son enfant lui était rendu, elle éprouvait une sorte d’effroi à la seule pensée de se retrouver en présence d’étrangers, comme si son bonheur eût été d’une nature si fragile que le moindre choc eût dû suffire à le briser.

Au milieu de la joie universelle, le kadi seul gardait quelque in quiétude. Il reculait devant la pensée d’intenter un procès criminel à l’épouse de celui qu’il avait appelé son gendre, et il ne s’y fût décidé que dans le cas où la chose eût été indispensable pour la sécurité de son petit-fils. Si d’ailleurs il déférait Maleka à la justice, qu’en résulterait-il ? avait-il d’autres témoins à lui opposer que la vieille Grecque et les deux misérables arrêtés par Osman ? Maleka ne l’accuserait-elle pas, tout kadi qu’il était, ou du moins n’accuserait-elle pas Anifé et le jeune Osman d’avoir concerté une intrigue odieuse pour combler le vide que la mort avait laissé dans la famille d’Ismaïl, et pour rejeter sur l’épouse préférée de ce même Ismaïl la responsabilité d’un crime qui devait, s’il était prouvé, la perdre à tout jamais ? Après bien des réflexions, des pourparlers et des consultations avec sa femme, avec sa fille adoptive, dont il commençait à goûter fort l’esprit et la pénétration, et même avec Osman, le kadi résolut d’éviter tout scandale et toute publicités. La vieille Grecque et ses deux séides avaient tout avoué dans le premier interrogatoire, en rejetant toute la culpabilité du fait sur Maleka. Le kadi leur fit signer ces déclarations, qu’il corrobora de toutes les formalités légales. La nourrice et son mari déclarèrent aussi, et sous serment (car ils étaient musulmans), que l’enfant confié à leurs soins par la servante de la vieille Grecque était bien le même enfant rapporté par