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encore l’envie de montrer son humeur à Anifé. L’arrivée du petit Ismaïl aussi embarrassait cruellement son père, qui ne connaissait qu’imparfaitement l’histoire de son rejeton. On lui avait d’abord annoncé sa mort, puis était survenue la lettre du kadi, à laquelle il n’avait pas compris grand’chose ; puis encore Maleka et Selim lui avaient écrit qu’Anifé venait d’acheter un bambin qu’elle se proposait de faire passer pour son fils. Enfin, fatigué de chercher le mot d’une énigme qui après tout ne l’intéressait guère, il avait cessé de s’en occuper, et avait fini par oublier à peu près tout ce qui s’y rapportait ; mais il fallait maintenant prendre un parti. Était-ce là son enfant ? devait-il l’admettre comme tel dans sa maison ? pouvait-il l’en exclure ? Quelles seraient les conséquences de l’une et de l’autre conduite ?

Tout en se posant ces questions embarrassantes, Ismaïl jetait des regards à la dérobée sur le petit garçon, sur Anifé et sur Osman, et les en détournait aussitôt, de peur de laisser lire dans son cœur. L’enfant commençait à s’ennuyer et se préparait à fondre en larmes ; Anifé luttait contre l’envie d’en faire autant et contre un retour de son ancienne violence. Elle fit pourtant un effort sur elle-même, et s’asseyant sur le tapis, aux pieds d’Ismaïl, elle livra une pantoufle au petit bambin ; puis, dès qu’elle le vit sourire, elle l’éleva dans ses bras jusqu’à la portée du regard d’Ismaïl, en disant d’une voix douce et tremblante : — Regarde ton enfant, Ismaïl ! Vois comme il est joli ! Ne trouves-tu pas qu’il te ressemble ?

— Hum ! fit Ismaïl en passant la main sous le menton de son fils et en le forçant à tenir la tête haute jusqu’au moment où la moue qui précède les larmes reparut autour de la bouche rosée de l’enfant, hum ! il est bien, mais je ne trouve pas qu’il me ressemble…

— Il est cent fois plus joli que toi ! dit Osman, à bout de patience.

— En effet, en effet, se hâta de dire Ismaïl ; puis, après un moment de silence, il reprit d’un air grave, comme un homme qui vient de prendre un grand parti : — Je dois avouer, Anifé, que je ne m’attendais pas à recevoir la visite de cet enfant, et que j’ignore qui il est. Ne m’as-tu pas annoncé sa mort ? J’ai reçu à ce sujet des condoléances de tous mes amis, et ta famille elle-même…

— Mais mon père t’a écrit tout ce qui était arrivé interrompit Anifé ; il t’a informé de l’affreux complot tramé contre ton enfant, des soupçons que j’en avais conçus dès le premier jour, du dévouement de mon cousin Osman que voici, du succès de ses recherches, de l’aveu de la sage-femme, de la scélératesse de… ses complices…

Ici Anifé s’embarrassa un peu, ce qui fournit à Ismaïl l’occasion de reprendre la parole. — J’ai reçu en effet une lettre du noble kadi,