Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Osman reparut dans la soirée à la prison d’Ismaïl. Il avait l’air radieux. — J’apporte un message de paix, dit-il en entrant. Par la démarche que vous connaissez sans doute à cette heure, Anifé n’a voulu que se mettre en garde contre les mauvais desseins de Maleka et vous éviter à vous-même les regrets que vous coûterait votre faiblesse. Elle est prête à retirer sa déclaration, et tout ce qu’elle vous demande en retour de tant de générosité, c’est de répudier Maleka.

Ismaïl écouta ces paroles avec un tressaillement de joie. Répudier Maleka était un bien mince sacrifice en échange de la radiation de la dette énorme dont il se reconnaissait bien, quoi qu’il en dît, un peu chargé ; mais la joie du prisonnier ne dura pas longtemps. Et les cent quinze mille piastres dues à Maleka, comment les lui rendre ? Derrière la femme qu’on lui proposait de répudier, n’allait-il pas trouver une implacable créancière ? Lorsqu’il envisagea sous son véritable aspect sa triste position, Ismaïl eut un moment la pensée de se briser le crâne contre les barreaux de sa prison ; mais il se dit que sa mort ferait trop de plaisir à sa première comme à sa seconde femme, et que le meilleur parti à prendre était encore de vivre sous les verrous le plus longtemps possible.

Cette histoire touche à sa fin, — je dis histoire, car il s’agit ici de faits véritables, et je ne suis pas libre de donner à mon récit un dénouement romanesque. Il y a deux ans que le bey Ismaïl, devenu le débiteur insolvable de ses deux femmes, a dû suivre les kavas dans la prison où il languit encore… Il a eu beau supplier tour à tour Maleka et Anifé. — Répudiez Maleka, lui dit celle-ci, et je déchire ma créance. — Répudiez Anifé, lui dit Maleka, et je signe un acquit des cent quinze mille piastres. — Faut-il ajouter que Maleka passe ses jours avec Selim, et qu’Anifé s’accoutume de plus en plus à la compagnie du jeune Osman ? Il y a de bonnes raisons, on le voit, pour que la captivité d’Ismaïl-Bey dure autant que sa vie.

Christine Trivulce de Belgiojoso.