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larmes d’écolier, changer son courage en une lâcheté de courtisane, plier le genou comme un mendiant qui a reçu l’aumône ; » il aimerait mieux « mettre sous la meule le corps de Marcius et en jeter la poussière au vent. » Sa mère le blâme.

... Je vous en prie, apaisez-vous, — ma mère ; je m’en vais à la place du marché. — Ne me grondez plus. Je vais faire l’arlequin, — les cajoler, escroquer leur faveur, et revenir le bien-aimé — de tous les métiers de Rome. Vous voyez, j’y vais.

Il y va, et ses amis parlent pour lui. Sauf quelques boutades amères, il a l’air de se soumettre. Alors le tribunal prononce l’accusation et le somme de répondre comme traître au peuple.

Comment ! traître !

MENENIUS. — De la patience. Vous avez promis.

CORIOLAN. — Que le feu du dernier enfer enveloppe le peuple ! — M’appeler traître ! toi, insolent tribun ! — Quand dans tes yeux il y aurait vingt mille morts, — quand dans tes mains tu en serrerais vingt millions, — quand il y en aurait deux fois autant dans ta bouche de menteur, — je te dirais que tu mens, à ta face, d’une voix aussi libre — que quand je prie les dieux.

On l’entoure, on le supplie, il n’écoute rien ; il écume, il est comme un lion blessé.


Qu’ils me condamnent à être précipité de la roche Tarpéïenne, — à vagabonder dans l’exil, à être écorché ; emprisonné pour languir, — avec un grain de blé par jour, je n’achèterais pas — leur merci au prix d’une douce parole, — ni je ne plierais mon courage, quelque chose qu’ils puissent donner, — jusqu’à dire bonjour pour l’obtenir.

Le peuple l’exile et appuie de ses acclamations la sentence du tribun.

Vous, gueules de roquets hurlans, dont je hais le souffle — comme la vapeur des marais infects, dont j’estime l’amour — à l’égal des carcasses abandonnées, pourries, — qui corrompent mon air, je vous bannis — … Avec ce mépris, — à vous, la commune, je vous tourne le dos, comme ceci. — Il y a un monde ailleurs.


À ces rugissemens, vous jugez de sa haine. Elle va croître par l’attente de la vengeance. Le voilà maintenant devant Rome avec l’armée volsque. Ses amis s’agenouillent devant lui, il ne les relève pas. Le vieux Ménénius, qui l’avait aimé comme un fils, n’arrive en sa présence que pour être chassé. « Femme, mère, enfant, je ne connais plus personne. » — C’est lui-même qu’il ne connaît pas, car cette force de haïr, dans un grand cœur, est la même que la force d’aimer. Il a des transports de tendresse comme il a des transports de rage, et ne sait pas plus se contenir dans la joie que dans la douleur.